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Page:Revue des Deux Mondes - 1862 - tome 42.djvu/936

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hérissé d’épines d’un grand animal de mer : les flots déferlent en mugissant sur ces innombrables pointes, rejaillissent en longues fusées d’écume, et laissent retomber les masses de sable qu’ils tenaient en suspension. Retardées par les obstacles que leur opposent les extrémités des épis et ne pouvant développer aisément leur masse entre les deux môles, les vagues ne viennent plus heurter la plage avec toute leur fureur. En même temps le courant latéral qui se dirige du sud au nord, parallèlement à la côte de Médoc, ne peut plus exercer sa force d’érosion. Rencontrant devant lui la rangée parallèle des épis, il se contente d’en cacher le versant méridional sous une couche de sable; au lieu de renverser les dunes du rivage, il en fortifie les approches.

La connaissance de ces faits donnait bon espoir aux ingénieurs, et cependant, quand les jetées d’argile et de pierres furent construites et consolidées par leurs revêtemens de fascines, ils s’aperçurent que les épis du nord, situés dans l’anse des Huttes, n’étaient pas de force à résister à la mer pendant les jours d’orage. Une jetée céda, puis une autre. Il fallait donc recourir promptement à un autre système de défense, tout en maintenant avec soin les épis construits sur la partie rectiligne de la plage. La construction d’une digue parallèle au rivage de l’anse des Huttes fut décidée. Pour prendre un solide point de départ, le directeur des travaux fit commencer les enrochemens à la base d’un monticule de 15 mètres d’élévation qui se dresse en forme de promontoire à l’extrémité méridionale de l’anse, puis, donnant à la muraille une légère inflexion vers la rive, il la prolongea aussi rapidement que possible en la fortifiant du côté de la mer par des blocs de pierre abandonnés à leur propre poids. Pendant le cours des travaux, les orages et les vagues de marée assiégèrent souvent la digue et la rompirent en divers endroits; mais les ouvriers, luttant avec succès contre les flots, purent fermer les brèches et consolider les parties de la muraille qui s’étaient abaissées. En mars 1847, après cinq années d’un combat sans cesse renouvelé entre la nature et l’homme, la digue, longue de 1,100 mètres, était enfin achevée, et semblait interdire désormais aux brisans l’approche des dunes. Déjà les ingénieurs se félicitaient de leur œuvre et croyaient avoir dompté l’Océan, lorsque, peu de semaines après l’achèvement complet des travaux, une terrible tempête du sud-ouest déchaîna toutes les eaux du golfe contre la côte du Médoc ; les derniers épis de l’anse furent balayés comme des fétus de paille, et la plus grande partie de l’énorme digue fut rompue, emportée, anéantie par les flots exaspérés.

Ainsi la plage des Huttes était de nouveau exposée aux attaque des lames, et le percement de l’isthme allait recommencer de plus belle. Pour fermer le passage à la mer, on eut à peine le temps de