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mie des lois, des institutions, de l’administration, de la langue, de la vie morale. J’irai plus loin. On ne peut méconnaître que sur ce terrain, une fois accepté, le marquis Wielopolski ne se soit mis à l’œuvre avec une énergique puissance de travail. C’est ainsi qu’il a résolu définitivement la question des paysans, qu’il a donné la vie au conseil d’état du royaume, désormais composé de notables du pays, et aux conseils de district, qu’il a créé une certaine autonomie administrative en éloignant presque tous les fonctionnaires russes du royaume, et que dans l’instruction publique il a réalisé de vraies réformes, rouvrant l’université, appelant de nouveaux professeurs, allant même les chercher, soit dans les autres provinces polonaises, soit dans tous les pays slaves. Enfin plus au fond, dans quelque repli mystérieux de l’esprit du marquis Wielopolski, il se peut qu’il y ait la pensée de faire, avec le temps, du royaume une sorte de centre renouvelé, de foyer rayonnant sur toutes les contrées polonaises, comme un Piémont du nord lentement formé aux côtés de la Russie.

C’est tout, je crois. Il n’y a qu’un malheur, c’est que cette entreprise, si logiquement conduite en apparence, périt dans l’application au courant des impossibilités qui naissent des circonstances, de la situation du pays, du caractère même de l’homme en qui elle se personnifie et des pensées qui l’inspirent. Sans parler du droit toujours vivant, il se peut qu’une telle tentative eût eu quelque chance il y a un demi-siècle, il y a quarante ans, lorsque tout n’était point encore si fatalement compromis, avec un souverain comme l’empereur Alexandre Ier, qui gardait une certaine prédilection pour la Pologne. Et ici je ne peux m’empêcher de songer à cet autre Polonais éminent, le prince Adam Czartoriski, qui avait eu un jour une pensée de ce genre : elle avait été naturelle autrefois, lorsque le prince Adam, après la défaite de l’insurrection de Kosciusko, était envoyé en otage à Saint-Pétersbourg, s’attirait la sympathie d’Alexandre, alors grand-duc, et devenait son ami. Alexandre le faisait venir souvent à Tsarskoe-Selo, et les deux jeunes gens allaient se promener le matin dans les jardins. Pendant ces excursions, ils échangeaient des rêves généreux. Alexandre laissait voir de l’attendrissement pour la Pologne, le regret des partages accomplis, des desseins libéraux. Plus tard, s’il ne fit pas tout ce qu’il promettait, il donnait du moins à la Pologne la constitution de 1815, une diète, une armée, une semi-indépendance. Encore en 1825, se trouvant à Varsovie, il allait voir le comte Zamoyski, marié à une sœur du prince Adam et père du comte André. Là, faisant venir les jeunes gens, comme il le disait, il parlait devant eux de ses intentions persistantes de faire plus qu’il n’avait fait, de réunir au