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Page:Revue des Deux Mondes - 1862 - tome 42.djvu/986

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J’avais une véritable amitié pour M. Adams; il me semblait voir en lui tout ce qu’il fallait pour rendre heureuse une femme raisonnable. Je crois encore que la femme qu’il épousera aura sujet de bénir son sort; mais je n’ai point eu envie de l’épouser.

« — Y a-t-il quelqu’un que vous lui préfériez, Mara?

« Mara tressaillit, le feu lui monta aux joues, et ses yeux étincelèrent.

« — Vous n’avez pas le droit, dit-elle, de me faire cette question, quoique vous soyez mon frère.

« — Je ne suis pas votre frère, Mara, dit Mosès en se levant et en allant à elle, et voilà pourquoi je vous fais cette question. Je crois que j’ai le droit de vous la faire.

« — Je ne vous comprends pas, répondit-elle à demi défaillante.

« — Je vais parler plus clairement alors ; il faut que ma pauvre destinée se décide. Je vous aime, Mara, mais pas comme un frère : je veux vous avoir pour femme, si vous voulez de moi.

« Comme Mosès disait ces mots, Mara sentit la tête lui tourner, et un brouillard se fit devant ses yeux; mais elle avait une volonté énergique et ferme; elle se maîtrisa, et répondit, au bout d’un instant, d’un ton calmé et triste :

« — Comment puis-je vous croire, Mosès? Si vous dites vrai, pourquoi, vous être conduit comme vous avez fait tout l’été ?

« — Parce que j’étais fou, Mara, parce que j’étais jaloux de M. Adams, parce que je comptais un peu, s’il faut tout dire, ou que vous m’aimiez, ou que vous arriveriez à attacher plus de prix à moi par jalousie d’une autre. On dit que l’amour se reconnaît toujours à la jalousie.

« — Pas le véritable amour, autant que je puis croire, dit Mara. Comment avez-vous pu agir ainsi? Vous avez été cruel pour elle, cruel pour moi !

« — J’accepte tout, absolument tout ce que vous pouvez dire. J’ai agi comme un insensé et comme un lâche, si vous voulez, Mara; mais après tout je vous aime. Je sais que je ne suis pas digne de vous, que je ne l’ai jamais été, que je ne le pourrai jamais être. Vous êtes en toute chose un cœur loyal, une noble femme, et j’ai été un misérable. »


Quand un amoureux se déclare un misérable, son pardon est tout accordé : il est si doux à une femme d’être clémente. La paix se fait incontinent; le mariage est chose arrêtée, il aura lieu au retour de Mosès, et les apprêts en commencent aussitôt. La félicité de Mara serait sans mélange, si Mosès était plus assidu aux offices. Apprenez donc ce qui gâte le bonheur d’une fiancée puritaine :


« Personne ne sentait plus vivement que Mara que le cœur et l’esprit de l’homme qu’elle chérissait ne sympathisaient pas avec elle en ce qui touchait le côté le plus vital et le plus essentiel de son existence intérieure. Pour Mara, le monde spirituel était une réalité, et Dieu un témoin dont la présence se faisait continuellement sentir. Le cours de la vie actuelle lui semblait se mêler et se confondre d’avance avec une vie future et plus