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vérités chrétiennes, ne mettez pas sous nos yeux des malheurs imaginaires et des victimes d’invention. Voulez-vous nous enseigner avec autorité le détachement de toutes choses, l’immolation de toute affection, l’héroïsme de la mort, imposez silence aux conceptions de votre esprit, allez droit aux Actes des Apôtres, et surtout aux pages les plus sublimes qu’il soit donné à l’homme de lire, à l’Évangile de la passion.

Si c’est un roman que vous avez voulu écrire, pourquoi avoir délaissé la mine féconde qui s’offrait à vous pour poursuivre un filon stérile? Mara est résignée, Mara est satisfaite : que disons-nous? Mara est heureuse de mourir ! Alors que peut nous faire sa mort? Mettez vite au rang des saintes ce modèle de toutes les perfections, et parlez-nous de nos pareils, qui peuvent seuls nous intéresser. Dépeignez-nous des joies que nous puissions comprendre ou des douleurs qui nous rappellent les nôtres. Eh quoi! Mara est jeune, elle est belle, elle aime et elle se sait aimée ; elle goûte ce bonheur, le plus vif qui soit sur terre, de s’abandonner librement à un amour que l’approbation de tous a consacré, que la bénédiction paternelle et la religion vont sanctifier, et tout à coup il lui faut mourir! Quel renversement affreux des plus douces espérances, et quel cœur ne se briserait dans une pareille épreuve? Mara le dit elle-même à la tante Roxy, elle le répète à Mosès : elle a terriblement souffert; elle a longtemps combattu avant de parvenir à se résigner. Romancier oublieux des lois de votre art, c’étaient ces souffrances et ces combats qu’il fallait nous raconter, et bien effacées eussent été les couleurs de votre palette, bien froides eussent été vos paroles, si vous n’aviez pas éveillé un écho dans nos cœurs ! Qui de nous, en effet, ne cache au fond de son âme, comme une blessure toujours prête à se rouvrir, quelque doux et cruel souvenir, quelque espérance brisée, quelque image bien chère que nous appréhendons d’évoquer? Qui sait? si vous aviez retracé avec force et avec vérité cette lutte où l’âme la plus chrétienne ne peut triompher du premier coup, peut-être nous auriez-vous fait croire plus aisément à la victoire de Mara sur son cœur, et auriez-vous atteint plus sûrement le but édifiant que vous vous êtes proposé. A qui espérez-vous persuader que la lecture d’une seule page de la Bible suffise pour réconcilier Zéphaniah et Mary Pennel avec la pensée de perdre leur unique enfant, l’objet de toutes leurs affections. Avez-vous craint de nous voir méconnaître les douceurs de la prière et de nous écarter des autels du Dieu consolateur des affligés, en remplissant de larmes et de plaintes cette maison dont Mara est la joie? Tout au contraire, si vous voulez nous amener sûrement à votre avis, déchirez hardiment ces âmes chrétiennes, sondez devant nous leur blessure, faites-nous