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griefs imprescriptibles et le martyre toujours renaissant de la Pologne. — Voilà en somme, grâce à la politique nous ne voulons pas dire rétrograde, mais, nous le répéterons, stationnaire, de nos ministres-orateurs, les énormités par lesquelles se singularisent nos cinq. La postérité n’y verra-t-elle pas plutôt des miracles de modération ?

Nous aurions mauvaise grâce à prolonger par d’inutiles redites les échos de la discussion de l’adresse. Ce n’est point que nous soyons détournés de cette tâche ingrate par l’épouvantail qui s’est un instant dressé devant les journaux la semaine dernière. Un avis officieux de l’administration, qui les rappelait à l’observation de l’article 42 de la constitution, a fait craindre un moment aux journaux qu’ils ne fussent privés de la faculté dont ils jouissaient depuis deux ans de discuter les opinions émises dans les délibérations des chambres. Le malentendu causé par cet avis du ministère de l’intérieur est aujourd’hui éclairci. L’article h1 de la constitution, le premier jurisconsulte du gouvernement, M. Troplong, l’a reconnu, n’interdit point la discussion des séances des chambres dans la presse ; il n’a pour objet que de prévenir ou de réprimer « ces comptes-rendus indirects et disséminés qui jadis, sous prétexte de faire apprécier la séance, n’étaient qu’une caricature insultante et la satire des personnes. » On nous pardonnera si nous avouons que ces paroles de M. Troplong, récemment reproduites, nous ont remis en mémoire un homme d’un rare esprit qu’une mort prématurée a enlevé à la France, mais qui s’est fait une place originale dans la littérature politique de notre époque nous voulons parler d’Armand Marrast. Grâce au commentaire de M. Troplong, on dirait que l’article 42 de la constitution a été tracé sous la préoccupation du souvenir des polémiques d’Armand Marrast. Il faut se vieillir de vingt ans pour évoquer la figure de l’un des plus remarquables journalistes de ce siècle. Les idées quelquefois, mais plus souvent les hommes que nous aimons, ont eu cruellement à souffrir des coups de cet agile et malicieux lutteur ; mais les blessures reçues dans les luttes politiques doivent être facilement pardonnées et oubliées. L’esprit n’a pas peur de l’esprit ; l’esprit est volontiers indulgent, volontiers équitable envers l’esprit. Lui-même, Marrast, nous le savons pour avoir été témoins de ses fines émotions d’auditeur, observait cette loi à sa manière. Si jamais l’on veut reconstruire cette dernière et brillante époque du régime représentatif en France, si l’on veut peindre ces luttes qui mettaient aux prises les Guizot, les Thiers, les Berryer, les Lamartine, les Dufaure, il ne suffira point de recourir aux discours de ces grands orateurs il faudra aller rechercher dans les comptes-rendus passionnés ou satiriques du National les impressions d’un assistant auquel la prévoyance politique a fait peut-être défaut, mais qui possédait toutes les sensibilités lumineuses de l’artiste. Marrast, comme critique et comme journaliste, était digne de faire la partie de ces maîtres de l’éloquence. Nous ne serions pas surpris si les hommes éminens que nous venons de nommer ne prenaient