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CARION.

C’est-à-dire que, pour te soustraire à l’outrage du fouet, tu fais bravement ta corvée ? Chacun son goût ! Les maîtres se lassent quelquefois de battre, ils ne se lassent jamais de faire travailler. D’ailleurs, nous autres, n’avons-nous pas un patron fort doux ?

BACTIS.

Chrémyle est un homme juste, raison de plus pour le bien servir.

CARION.

Moi, je dis que c’est un fou, et qu’il faut profiter de sa crédulité. Il s’épuise en sacrifices, espérant que les dieux lui enverront la richesse. Et cependant ses champs, au lieu de blé, se couvrent de chardons, de smilax et de lentisques.

BACTIS.

La terre est bonne et la moisson est pauvre ! — Les laboureurs sont découragés, parce qu’ils ne cherchent pas la richesse où elle est.

CARION.

Saurais-tu donc la trouver, toi ? As-tu découvert, ici près, quelque nouvelle mine d’argent ?

BACTIS.

Non ; mais les vrais biens que les dieux aimeraient à donner, c’est la sagesse et la vertu, et ceux-là, les hommes ne les demandent point.

CARION.

Quant à moi, mon idée est que les dieux sont pauvres comme des sauterelles surprises par le froid, à commencer par le tonnant Jupiter, qui ne décerne aux vainqueurs des jeux olympiques qu’une simple couronne de feuillage comme celle-ci ! Aussi je me suis toujours émerveillé de voir les gens faire tant de dépense, se donner tant de mal et risquer de se casser les côtes pour recevoir de la main des dieux un méchant rameau d’olivier tout pareil à ceux qui poussent là dans la haie de notre jardin ! Si j’étais maître de mon corps comme je le suis de mon esprit, je ne voudrais courir et lutter que pour une couronne d’or, et je la voudrais si lourde qu’il me faudrait trente bœufs pour la traîner… Alors… avec les trente bœufs, le char, la couronne, une centaine d’outres de vin de Chios et un bon plat de tripes par-dessus le marché, je serais assez content des immortels !… Mais il faut (Myrto parait) qu’ils soient chiches ou affamés puisque leurs prêtres demandent toujours et ne donnent jamais.


SCÈNE III.
CARION, BACTIS, MYRTO.

(Pendant cette scène, Bactis absorbé regarde Myrto avec tristesse.)


MYRTO.

Que faites-vous là, vils esclaves ? vous blasphémez au seuil du bois de lauriers que mon père a consacré au grand Apollon !


CARION, montrant sa couronne.

Voyez, jeune maîtresse, je suis purifié aujourd’hui, et ma présence ne souille pas les approches du bois sacré.