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débats meurt en police correctionnelle et que nul au dehors n’aie droit de s’en rendre l’écho, le barreau n’a plus de liens aussi étroits, de rapports aussi directs avec le pays ; s’il est toujours là plein d’ardeur, surmontant comme il peut les nouvelles difficultés de sa tâche, ses efforts, sans être superflus, sont condamnés à l’oubli et demeurent ensevelis dans un rigoureux silence. Et puis pourquoi le dissimuler ? Peut-être aussi, qu’en tournant bride au passé, plus d’un chef de la tribu a lui-même un peu troublé la raison publique. — Quoi ! de si grands airs et tant de bruit pour arriver à prendre le contre-pied de la thèse en montant aux emplois ! Où donc est la vérité ? Dans les paroles du jour ou dans celles de la veille ? — Ces réflexions, le public a bien pu les faire, et c’était son droit, le barreau n’a aucune raison de le méconnaître ; mais il peut découvrir son tableau et montrer que tout emploi ou fonction, si modeste ou si élevé qu’il soit, a toujours entraîné une radiation certaine : il n’a pas d’autre moyen de se protéger et de défendre son indépendance par les lois de la discipline, abandonnant ceux qui ne lui sont plus rien au jugement de l’opinion publique.

Est-ce à dire qu’au fond le pays n’ait point de sympathie pour le barreau, et qu’un divorce entre eux soit un jour à craindre ? Rien n’autorise à le penser ; l’on ne saurait oublier que, dans des temps profondément agités comme les nôtres, le pays a vu sans étonnement réunis au sein de l’ordre des avocats les blessés de tous les régimes, et que, sans demander à qui que ce soit le sacrifice d’aucune conviction, chez tous il a honoré l’indépendance et la fermeté. La juste popularité attachée à quelques personnalités, à certains noms, est là qui en témoigne. Si la parole des Berryer et des Dufaure va quelquefois si haut et si loin, si du palais, dans de grandes causes, elle s’étend par momens sur la France entière, peut-être au-delà, est-ce uniquement parce qu’elle a l’éloquence pour appui et pour véhicule ? N’est-ce pas plutôt parce que ces orateurs, au prix d’une fermeté invincible, d’une loyauté à toute épreuve, ont acquis le droit de faire entendre la vérité aux magistrats et au pays, qui les sait honnêtes et n’a point appris à douter de leur sincérité ? De même, quand Erskine plaidait une de ces causes qui touchent aux libertés publiques, l’Angleterre écoutait attentive et confiante, et ses paroles allaient au fond des esprits, parce qu’elles étaient convaincues et franchement libérales. Napoléon demanda un jour à ce pays la condamnation de Peltier, qui se vengeait de la proscription par des écrits où il flagellait le despotisme ; Mackintosh, qui parla pour Peltier, sut placer si haut la liberté de la presse et de l’exil, que son plaidoyer est encore invoqué par les publicistes. On se rappela quelques années après ces prophétiques paroles du vigoureux défenseur :