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« Je regarde cette poursuite comme le premier combat d’une longue guerre entre la plus grande puissance du monde et la seule presse libre qui reste en Europe. »

Cette autorité de la parole fondée sur la fermeté et les puissantes convictions de la défense, voilà ce que l’opinion publique est en droit de demander à tout avocat, ce qui pour elle doit passer avant l’art et ses plus ingénieux procédés. Que sur les bancs des écoles on admire les habiletés de langage ou les savantes manœuvres à l’aide desquelles des orateurs ont pu faire triompher des causes douteuses, cela se conçoit et s’explique aussi bien que les éblouissans succès de certains coups de surprise dans les salles d’escrime ; mais les purs artifices de métier ne sont point du goût du public, et sa manière de voir à cet égard n’est pas nouvelle. Les rhéteurs d’autrefois ne manquaient certes ni d’habileté ni de souplesse ; plusieurs de leurs écrits nous paraissent encore d’une grande beauté. Pourquoi donc sont-ils restés impopulaires, si ce n’est parce qu’ils se faisaient de la parole un jeu, et ne comptaient pour rien la conviction qui l’anime et la fait respecter ? La plupart des orateurs d’Athènes et de Rome se recommandaient eux-mêmes beaucoup plus par leur talent que par la noblesse du caractère, et le temps qui nous en a séparés n’a point fait oublier la part trop grande qu’ils laissaient à l’artifice du langage dans les plaidoyers. Nous ne verrons jamais là le type de l’avocat moderne ; l’école des rhéteurs a fait son temps, et les beaux diseurs aussi bien que les hommes sans conviction sont de cette école : aujourd’hui, dans l’avocat, l’élévation du cœur et l’attachement à la liberté doivent être au premier rang, le talent vient ensuite ; mais aussi, placée à ces sommets, la défense est de niveau avec toutes les puissances, et le public avec ses intuitions le sent bien. Il va de lui-même à ces hommes qui s’offrent à lui comme des lignes droites ; à leur nom comme à leur voix, il est attentif et se rassure, parce qu’il comprend qu’en eux, dans les plus mauvais jours, il trouverait secours et appui. Quand viennent à tomber de tels hommes, le pays s’en émeut, et son émotion est sincère. Ainsi tomba Paillet, on se le rappelle, et dans la grande personnalité de ce courageux ami des faibles, de cet ardent défenseur des grandeurs déchues et des familles proscrites, le barreau, on ne l’a point oublié non plus, reçut une éclatante marque de sympathie. « Celui, dit alors Bethmont, dont la mort soudaine nous a frappés d’un saisissement si cruel et répand sur la cité entière un profond sentiment de deuil n’était cependant qu’un simple citoyen. »

Ce simple citoyen toujours prêt à défendre les idées de justice et de liberté renfermées dans la législation sortie des mains de l’assemblée