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me faut choisir. Je ne veux point comparer les libertés dont on pouvait jouir sous l’ancien régime avec celles qui nous sont laissées ; mais en accordant sur ce point tout ce qu’on voudra et en me montrant aussi peu ganache qu’il se pourra, je n’irai point cependant jusqu’à mettre au compte du parti légitimiste les pratiques despotiques de l’ancien régime, puisqu’à cette époque où la France entière était royaliste, où la légitimité de nos rois n’était pas même contestée, ce qu’on entend aujourd’hui par le parti légitimiste n’existait pas. Il faut donc considérer le parti légitimiste, pour le condamner ou pour l’absoudre sur cette accusation si grave d’absolutisme, depuis le temps où il existe jusqu’à nos jours, c’est-à-dire depuis le début de la restauration jusqu’au moment où nous écrivons, et dans cet examen il faut tenir surtout compte de sa conduite, car juger les partis sur leurs théories et leurs discours plutôt que sur leurs actes, c’est s’exposer d’une part à condamner aveuglément celui qui agit mieux qu’il ne parle, et de l’autre à prendre pour le plus recommandable de tous celui d’entre eux qui aura le moins reculé devant le mensonge et qui aura couvert les plus laides actions des plus belles paroles. Si nous sommes donc justes en ce point et si nous considérons les actes avant tout, nous voyons la France, qui n’avait connu jusqu’alors que l’omnipotence de la convention, la fureur anarchique du directoire et le silence de l’empire, mise en possession d’un seul coup, par l’avènement de ce parti, d’élections libres, d’assemblées souveraines, de ministres responsables. Si ce sont là des actes absolutistes, les mots français n’ont plus leur sens naturel, et Giboyer a raison de se plaindre de la confusion des langues. Dira-t-on que la jouissance de ces grands biens n’a pas toujours été exempte de trouble, qu’on a souvent contesté ces droits précieux ou tenté de les amoindrir ? Qui prétend le nier ? Mais ils n’ont jamais été anéantis au point de réduire le général Foy, Benjamin Constant et leurs amis à mériter le reproche d’emprunter la voix d’autrui pour faire arriver à la tribune l’opinion d’une partie de la France. Nous admettons enfin, avec Giboyer et avec tout le monde, que ce gouvernement est tombé (ce qui le met de pair avec tous nos essais de gouvernement depuis 89), et qu’il est tombé par la folie de son chef, qui a voulu précisément soustraire son ministère à l’influence de la majorité parlementaire, c’est-à-dire inaugurer l’absolutisme même dans une constitution faite pour le rendre impossible ; mais quoi de plus injuste que de rendre le parti légitimiste responsable de cet acte de démence, si court et si tôt puni ? Parcourez les noms, si illustres alors, des deux chambres du parlement français, où Maréchal était bien loin de s’étaler en maître, et demandez à l’histoire impartiale si l’opinion légitimiste presque entière, rangée autour de Chateaubriand et de Royer-Collard, ne déplorait pas et ne condamnait pas