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cette funeste démarche de la puissance royale aspirant à descendre au niveau des pouvoirs despotiques ! Depuis ce malheur, qu’il n’a pas dépendu d’elle d’empêcher, l’opinion légitimiste n’est plus aux affaires, et Giboyer ne peut plus invoquer contre elle que ses paroles. Pour moi, je les écoute depuis dix ans, et quand par hasard la voix d’un Berryer s’élève, quand la plume de quelques-uns de ses amis trouve le chemin du public, je n’entends, je ne lis aucun mot qui ne soit plein de respect pour les libertés nationales et pour l’indépendance des citoyens. Aussi n’est-ce point de ce côté que Giboyer porte ses coups. Il se tient, en philosophe qu’il est, dans les régions de la pure doctrine, et il reproche à l’opinion légitimiste « de professer que tout pouvoir vient de Dieu et ne doit de comptes qu’à Dieu. » Voilà tout le crime, et j’avoue que je m’épuise à le comprendre. Il y a bien eu en France quelques gouvernemens qui se sont piqués de ne rendre de comptes qu’à Dieu et, pour peu qu’on y tienne, à la postérité, ce qui ne gêne guère ; mais les ministères du roi Louis XVIII et ceux du roi Charles X rendaient leurs comptes aux chambres et au public, sauf le dernier de tous, qui, ne voulant plus avoir affaire au parlement, a eu affaire à la rue, et s’en est trouvé beaucoup plus mal. Accuser les légitimistes de ne vouloir rendre de comptes qu’à Dieu, c’est donc les calomnier ou les mal connaître : quant à professer que tout pouvoir vient de Dieu, ils peuvent se tromper dans cette question subtile de vaine métaphysique, sur laquelle je me récuse de grand cœur ; mais, s’ils errent en ce point, ils s’y égarent en compagnie des souverains les plus démocratiques, qui ne dédaignent pas toujours (et pourquoi les en blâmer ?) de se déclarer les maîtres par la grâce de Dieu aussi bien que par la volonté nationale. Lorsque pourtant Giboyer s’élève, il ne s’élève pas à demi ; laissons-le donc se perdre ou triompher à son gré dans ces discussions dignes des Grecs de Byzance. « Faites-en autant ! » dit le marquis d’Auberive, qui a le propos leste, à son cousin d’Outreville, lorsque celui-ci fait le difficile sur la beauté de Fernande. Nous dirons de même à Giboyer : Vous faites le fier avec les légitimistes qui ne s’entendent point comme vous à la liberté ; eh bien ! ils ont fait la charte et les lois de 1819 sur la presse : faites-en autant !

S’il est difficile de démontrer que Giboyer n’est pas irréfutable dans ses accusations contre l’opinion légitimiste, combien il est plus délicat de faire entendre qu’il n’est pas lui-même inattaquable, et qu’assailli avec des armes égales, son propre camp ouvrirait une large brèche à ses adversaires ! Nous ne possédons pas son mystérieux livre, et comme nous sommes loin d’être l’ennemi de M. Augier, nous ne conseillons pas à M. Augier de l’écrire ; mais enfin Giboyer se déclare démocrate, et c’est à la démocratie qu’il veut convertir tout