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cessation momentanée et non une longue interruption du travail. Un prêt continué pendant plus d’une année aurait endetté pour toujours peut-être l’ouvrier. D’autres difficultés plus graves se présentaient encore, et si les promoteurs de ce système se montraient prêts à sacrifier une part de leur capital, on pouvait craindre qu’un tel exemple ne trouvât point de nombreux imitateurs. L’idée première était bonne néanmoins, à la condition de se reproduire sous d’autres formes, et une souscription ouverte par le lord-maire de Londres indiqua une voie nouvelle où ces généreux efforts pouvaient se poursuivre avec succès. C’est à un meeting présidé par lord Derby que le principe des souscriptions nationales fut exposé et défendu. On décida qu’un comité de secours serait formé pour venir en aide aux ouvriers qui voudraient maintenir leur indépendance, « aux personnes prêtes à combattre encore, comme le remarquait avec insistance lord Derby, et à faire de nouveaux efforts pour ne pas être paupérisées. » Comment ne pas tenir compte de ces paroles, quand on songeait à la situation des ouvriers anglais telle que l’avait faite jusqu’alors l’activité industrielle de leur pays ?

La conquête la plus précieuse de l’ouvrier moderne est l’indépendance, ce que les Anglais appellent le self reliance. C’est ce sentiment cher à tout homme qui s’émancipe par le travail, ce sentiment de l’ouvrier justement fier de ne rien devoir à personne, et qui échange librement son travail contre une rémunération, c’est ce sentiment qui lui fait désirer d’habiter dans une maisonnette seul avec sa famille, maisonnette dont personne n’a le droit de franchir le seuil contre sa volonté. C’est là à peu près la seule récompense de ce travail continu. L’ouvrier possède aussi un bien inestimable, c’est la conscience de sa dignité personnelle, de son inviolabilité. Il ne dépend du caprice de personne, il n’obéit qu’à la loi, qui à son tour le protège, et c’est précisément ce qu’on lui demande d’abandonner ! Il faut qu’il s’inscrive à la paroisse en qualité de pauvre, il faut qu’il subisse les humiliantes questions des commis de l’assistance ; il lui faudra attendre des heures entières dans la foule des pauvres de profession, lui qui n’a eu qu’un désir, qu’un but, maintenir son indépendance !

En présence de ces susceptibilités si légitimes de l’ouvrier anglais, on se demande pourquoi les comités dont lord Derby désirait la création ont été si lents à se former. En effet, on s’accorde à reconnaître qu’il eût été de beaucoup préférable que les ouvriers sans ouvrage se tinssent éloignés de l’assistance par la paroisse. Ce n’était point et cela n’a jamais été une question d’argent, et la somme nécessaire pour aider les ouvriers en dehors de la taxe des pauvres n’avait rien qui fût au-dessus des efforts du pays. Le nombre