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mikado, l’empereur légitime du Japon, se trouvent placés plusieurs fonctionnaires d’un rang plus élevé que le sien. Le tykoun est simplement le généralissime du mikado, le chef du pouvoir exécutif du Japon. Sa puissance est strictement limitée, et il s’en faut de beaucoup qu’elle s’étende aussi loin qu’on le pense généralement en Europe. Les dix-huit pairs du Japon, les anciens daïmio ou yok’-gi, parmi lesquels on compté le prince de Satzouma, sont, à peu de chose près, des rois indépendans, et exercent dans leurs domaines haute et basse justice. Le tykoun n’a aucunement le droit d’arrêter, de juger et de punir un sujet du prince de Satzouma. Les deux pouvoirs, celui du tykoun et celui d’un daïmio, sont distincts, quoique unis entre eux par certains liens politiques qu’il importe peu d’examiner ici. Un fait avéré, avoué par les gouverneurs de Yokuhama, c’est que le gouvernement avec lequel les Européens ont traité sur un pied d’égalité n’a pas le pouvoir de punir certains Japonais, de quelque crime qu’ils soient coupables.

Que reste-t-il alors à faire ? La question n’est pas aisée à résoudre. Ce qui est certain, c’est que si l’on veut obtenir satisfaction du meurtre de M. Richardson et de l’attentat commis sur ses trois compagnons, il est inutile, il est même injuste de s’adresser à la cour de Yédo. Le gouvernement du tykoun ne peut donner aucune réparation, il ne peut que la demander au gouvernement de Satzouma, et celui-ci, ne reconnaissant point la légalité de la présence des étrangers au Japon, refusera probablement de faire droit à cette demande.

Le gouvernement anglais doit donc se faire justice lui-même, s’il veut que justice soit faite ; il ne doit pas déclarer la guerre au tykoun, qui est innocent de ce qui vient de se passer ; il ne doit pas aller à Yédo, où il ne trouvera point les vrais coupables : il doit aller à Satzouma, d’un accès facile, vulnérable sur beaucoup de points ; il doit enfin infliger au maître de ce pays une leçon tellement sévère que lui et tous ses orgueilleux confrères s’en souviennent à jamais, et sachent bien qu’on ne touche pas impunément à la vie d’un Européen. Les princes du Japon ont encore présente à la mémoire l’expulsion des chrétiens, expulsion si aisément accomplie et d’une façon si sanglante. Ils croient toujours qu’il suffit d’écraser ceux qui se trouvent sous leur main pour être débarrassés du reste. Il est temps enfin de les détromper. Qu’attend-on encore ? Est-ce que la liste des hommes sacrifiés au fanatisme sauvage de quelques princes japonais n’est pas encore assez longue ? Elle contiendra bientôt de nouveaux noms, si les gouvernemens de l’Occident ne se hâtent de prendre des mesures efficaces pour protéger leurs nationaux. Cette protection n’est-elle pas une dette sacrée envers des hommes qui se sont établis dans l’extrême Orient sur la foi de traités promettant que « paix et amitié doivent régner entre Japonais et étrangers ? »


RODOLPHE LINDAU.

Hong-kong, 14 octobre 1862.