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des affaires appartenait toujours à un parti qui lui était profondément hostile et qui paralysait toutes ses intentions. Son bon sens et sa droiture, fortement appuyés par l’opinion publique, finirent cependant par triompher, et un décret du 9 octobre 1858 le chargea « d’exercer l’autorité souveraine sous la seule responsabilité devant Dieu, selon sa science et conscience. » Dans cette dernière volonté, Frédéric-Guillaume IV ne parla que de la responsabilité devant Dieu : il ne daigna pas mentionner par un seul mot les droits de la nation et les prescriptions de la charte, et resta ainsi fidèle à lui-même jusqu’au bout. Le prince de Prusse révéla de son côté sa manière toute différente d’envisager les conditions de l’état dans une ordonnance parue le même jour, où il notifia son avènement au pouvoir « par suite de l’invitation de sa majesté et en vertu de l’article 56 de la constitution. » Il convoquait les deux chambres de la diète pour le 20 du mois, « conformément aux dispositions du même article de la constitution. » Au jour indiqué, les chambres se réunirent extraordinairement, approuvèrent l’institution de la régence, et le 26 le prince prêta serment à la constitution au milieu de l’enthousiasme général.

Une « ère nouvelle (neue aera) » allait donc commencer pour la Prusse. Ce mot fut presque officiellement adopté pour désigner le changement de système, et dans une allocution mémorable adressée le 8 novembre au cabinet qu’il venait de former, le prince-régent traçait le véritable programme d’une politique réparatrice. Il y engageait ses conseillers à opérer des améliorations dans ce qui est arbitraire ou contraire aux besoins de l’époque. Tout en se défendant contre un laisser-aller dangereux envers les idées libérales et en exprimant la volonté « d’empêcher courageusement ce qui n’a pas été promis, » il n’en proclamait pas moins le devoir de tenir fidèlement les engagemens contractés et de ne pas repousser les réformes utiles ; il insistait principalement sur la nécessité « de s’opposer aux efforts qui sous le manteau de la religion poursuivaient des tendances politiques. » L’allocution finissait par la phrase devenue célèbre et depuis si fréquemment citée, « que la Prusse devait faire des conquêtes morales en Allemagne… »

Le nouveau cabinet, composé sous la présidence nominale du prince de Hohenzollern, était cependant loin de former un gouvernement parlementaire au vrai sens du mot. Le régent y avait même conservé deux membres de la précédente administration : M. Simons pour la justice et le tenace M. von der Heydt pour le commerce et les travaux publics ; les autres ministres, le général de Bonin, M. de Patow et M. de Bethmann-Hollweg, avaient surtout marqué pendant la crise orientale ; M. de Schleinitz devait principalement son portefeuille