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de la grêle tombant sur les tuiles d’un toit. Il n’y avait dans tout cela rien que de très ordinaire ; mais l’esprit prévenu de Gaôrie y voyait des présages de mauvais augure. Nella au contraire ne songeait qu’au plaisir d’une excursion sur la côte, faite en compagnie de son père, dont elle ne se séparait jamais. La présence d’un étranger l’inquiétait bien un peu ; mais Nella était fille d’Eve, et la curiosité lui donnait de la hardiesse.

Quand elle approcha du rivage, la barque, qui portait son père, sir Edgar et toute leur suite allait prendre le large. C’était un grand bateau du genre de ceux que l’on nomme bholia, et gréé de deux voiles latines comme les canges du Nil. L’équipage, composé de Malabars païens, avait suspendu sous la proue une couronne de petites fleurs afin de se rendre propice le dieu des eaux. Tout étant prêt à bord, il ne restait plus qu’à livrer au vent les voiles pointues qui frissonnaient le long des vergues.

Langar out’haô (levez l’ancre) ! cria le capitaine Mackinson. Les matelots malabars allaient obéir lorsque le konsamah, portant la main à son front dit tout bas au capitaine : — J’entends une voix qui appelle… C’est celle de Gaôrie.

En effet, Gaôrie, toujours obsédée par l’image de la vieille femme aux cheveux blancs et craignant de voir le bholia s’éloigner avant l’arrivée de sa maîtresse, jetait de loin et d’une voix essoufflée cette phrase sonore : — Sabar karo, sabar karo, sahebi ati hai (attendez, attendez, voici mademoiselle qui vient).

Le capitaine Mackinson sauta vite à terre, et il se trouva face à face avec sa fille qui sortait de son palanquin appuyée sur le bras de Gaôrie. Nella portait de longs pantalons à la turque et un grand châle qui l’enveloppait de la tête aux pieds.

— Eh bien ! Nella, lui dit son père un peu surpris de la voir paraître, tu veux donc être de la partie ?

— Sans doute, répondit la jeune fille ; si vous ne voulez pas me conduire en Europe, c’est bien le moins que vous m’emmeniez dans vos promenades sur la côte… Qui donc vous accompagne dans cette partie de chasse ?

— Un jeune homme débarqué depuis peu et qui m’a été recommandé, sir Edgar Tideforth…

Nella avait pris le bras de son père, qui la fit monter à bord du bholia. Une lampe éclairait imparfaitement la cabine, assez vaste pour contenir dix personnes. Sir Edgar se leva, fort étonné de voir arriver en pareil lieu et à pareille heure cette jeune fille, dont il ignorait l’existence et qui se montrait sous un costume aussi étrange. Lorsque le capitaine Mackinson le présenta lui-même à Nella, qu’il appelait sa fille, la surprise de sir Edgar fut à son comble ; il lui