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des massacres comparables aux septembrisades, des partis vainqueurs envoyant leurs adversaires à l’échafaud et confisquant leurs biens, des tyrans, des assemblées politiques, décrétant des lois cruelles et absurdes ; mais ce qu’on n’avait jamais vu, c’est la subversion complète, systématique, absolue, dans la théorie comme dans la pratique, de tous les principes de justice, d’humanité, de bon sens ; c’est la proclamation systématique des doctrines les plus immorales et les plus monstrueuses, c’est l’échafaud devenu le seul moyen de gouvernement.

Comment une grande nation avait-elle pu tomber dans un tel état ? C’est un problème que je n’ai pas la prétention de résoudre en quelques pages, car, pour le traiter convenablement, il faudrait refaire l’histoire de ce temps et de ceux qui l’ont précédé ; mais il est un autre problème, de proportions plus modestes, bien qu’il se rattache au premier, qu’on s’est souvent posé et que je crois pouvoir aborder : d’où sortaient les hommes qui, dans la convention, dans les clubs, dans les comités, dans les tribunaux révolutionnaires, se rendirent les directeurs et les instrumens d’une aussi effroyable tyrannie ? Étaient-ils, comme une certaine opinion a voulu le faire entendre, le produit naturel, nécessaire des doctrines et de la philosophie du XVIIIe siècle ? ou faut-il croire qu’à toute époque, en tout pays, l’espèce humaine contient en foule ces natures dépravées et perverses qui n’attendent que l’occasion pour paraître au grand jour ?

Je n’ai pas besoin de dire que je n’admets pas, au moins d’une manière absolue, la première de ces solutions. Si, en affaiblissant ou en détruisant chez la plupart des hommes les idées de religion positive, en portant même de la confusion, du relâchement dans les notions de morale, l’esprit du XVIIIe siècle avait renversé quelques-unes des barrières les plus puissantes qui contiennent l’effervescence des passions, d’un autre côté il avait vulgarisé les principes d’humanité de respect de la vie humaine, renfermés jusqu’alors dans un cercle bien étroit, et ce n’était certes pas le nom de Montesquieu ni même celui de Voltaire que pouvaient invoquer pour se justifier les bourreaux de la terreur. L’assemblée constituante avec ses qualités comme avec ses défauts, c’est la postérité véritable, la légitime représentation de ces grands esprits, non pas sans doute dans toutes leurs pensées, dans tous leurs systèmes, mais dans les traits généraux de leur philosophie et de leur politique, dans les conséquences que devait en déduire la fougue inexpérimentée du caractère français excitée par un concours malheureux de circonstances » Si donc on peut jusqu’à un certain point les rendre responsables des erreurs quelquefois coupables de 1789, un abîme les