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sépare des crimes de 1793. Il faut en chercher ailleurs la cause génératrice.

Serait-il donc vrai qu’en tout temps, en tout lieu, le genre humain contienne le germe de la dépravation profonde qui produisit alors de si horribles calamités ? J’ai vu certaines personnes, adoptant cette solution, s’effrayer à la pensée que nous vivons côte à côte avec des monstres à nous inconnus, qui, si des circonstances pareilles à celles de 1793 venaient à se produire, s’érigeraient tout à coup en dignes successeurs des héros de cette époque. Qu’y a-t-il d’exact dans cette supposition ? Il faut d’abord remarquer qu’elle se compose d’élémens bien complexes, que la reproduction de la situation de 1793 est bien difficile, sinon impossible, qu’en tout cas la similitude ne saurait être absolue, que la civilisation a fait des progrès, que les griefs des classes inférieures de la société, à quelque point qu’on veuille les exagérer, ne peuvent entrer en comparaison avec ceux qui existaient alors, ni par conséquent produire d’aussi effroyables ressentimens, d’aussi atroces vengeances. Ces réserves faites, j’admets qu’il existe constamment dans les sociétés humaines un nombre considérable d’individus capables d’être entraînés aux plus grands excès dans les momens d’agitation et de désordre, de commettre les actes les plus coupables, de devenir en un mot des scélérats. Cela sans doute est profondément triste. Cependant, il faut le dire, ces hommes n’ont pas eux-mêmes la conscience de ce qui pourrait leur advenir dans de telles conjonctures, s’ils se trouvaient exposés, au milieu de la tempête, aux tentations affreuses de l’ambition, de la colère, de la vengeance, ou seulement aux entraînemens de la peur. Je ne crains pas d’affirmer que si en 1788 un prophète eût annoncé à Robespierre, à Billaud-Varennes, peut-être même à Marat, les actes qui devaient, quatre ans après, leur acquérir une si effroyable immortalité, ils auraient reculé d’horreur et n’auraient pu y croire, quelles que fussent déjà les passions haineuses et envieuses qui dévoraient leur âme, à plus forte raison ceux qui, comme Barère, destinés par leur nature à la modération, devaient être poussés par la peur dans l’abîme du crime, — à plus forte raison encore des hommes que le fanatisme, l’enivrement de la révolution allaient livrer aux furies, mais qui n’avaient montré jusqu’alors que de bons et honnêtes sentimens, auxquels manquait seulement cette fermeté de jugement, de principe et de caractère si nécessaire, au milieu des orages politiques, pour ne pas s’égarer.

Ce serait une étude aussi utile qu’intéressante que celle qui rechercherait comment ces infortunés ont été conduits à leur fatale destinée, par quelles voies ils sont arrivés à un but si différent de