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égard, qu’ils ne s’en souviennent jamais que pour la mieux servir ! Lâches que nous serions ! nous regretterions d’avoir été purs ! »

Quelques jours après, Le Bon s’exprimait ainsi : « Dirons-nous, à cause de nos revers, que la vertu est une chimère, et que nous avons eu tort, de nous y tenir strictement attachés ? Ce blasphème n’entre pas encore dans mon cœur : je me félicite toujours de n’avoir été l’esclave ni des richesses, ni de l’orgueil, ni de la jalousie, ni de la débauche, ni de la haine particulière envers qui que ce soit ; j’ai haï les ennemis de ma patrie, les ennemis de la révolution, j’ai poursuivi les fripons de toute espèce, voilà mon seul crime, et je ne me sens pas la lâcheté de m’en repentir… O ma chère amie ! c’est ici que nous ne devons plus être unis que par les liens de la vertu !… » — « Je persiste à être le même, dit-il un peu plus tard ; continue de ton côté à honorer la cause de la liberté et de la vertu que nous avons servie. Procure-toi l’histoire ancienne, vois-y tous les hommes utiles payés successivement d’ingratitude. Lis les ouvrages de Jean-Jacques et apprends de ces ouvrages à n’être point abattue de notre position… »

Je citerai encore quelques autres passages de ces lettres où la même pensée se reproduit sans cesse :


« Je me console toujours dans cette idée que tu aimes mieux me voir poursuivi innocent qu’applaudi coupable. »

« Ton souvenir… me tourmenterait si nous n’avions tous deux un objet commun d’amour qui rend toutes les peines, la mort même, supportables : je veux dire la patrie et la vertu. »

« Étranger à toutes les cabales, à toutes les intrigues, je m’enveloppe de ma seule vertu. »

« Tout ce qui dépend de nous, c’est d’être toujours ce que nous avons été, vertueux par goût autant que par devoir : l’exil, la mort, une infamie publique peuvent être le prix d’une semblable constance, mais on jouit jusqu’à la dernière heure du témoignage d’une conscience pure, et la mémoire de l’homme de bien trouve tôt ou tard des vengeurs. »


Qui le croirait ? Le Bon, dans sa triste situation, loin de détourner sa pensée des actes qui l’y avaient amené, trouvait de la consolation à se les rappeler. « Il y a aujourd’hui un an, dit-il, que j’ai reçu l’ordre de me transporter à Cambrai avec une partie des plus chauds patriotes d’Arras. D’autres, à ma place, s’affligeraient de ce souvenir ; il commence pour moi un anniversaire des plus intéressans ; pas un jour, pas une heure ne va se passer désormais que je ne me retrace les dangers de toute espèce affrontés pour la cause de la révolution. Quel plus vaste sujet de consolation et de plaisir ! » Et il développe ce thème en ne parlant, il est vrai, que de ce qu’il a fait pour repousser l’invasion étrangère, comme s’il était possible de séparer ce souvenir de celui des sanglantes immolations auxquelles il est si