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intimement lié. Il rappelle à sa femme la douleur qu’ils ont eue alors d’être obligés de se séparer l’un de l’autre, les adieux éternels qu’ils se sont faits, ne sachant s’ils se reverraient jamais, la résolution où ils étaient, lui de s’ensevelir sous les ruines de Cambrai plutôt que de trahir son devoir, elle de ne jamais déshonorer le courage de son époux par des suggestions féminines. « Le ciel, ajoute-t-il, ne voulut pas mettre alors à l’épreuve la sincérité de nos sentimens. Il nous réservait à de plus pénibles destinées ! Nous a-t-il trouvés les mêmes ? Je le pense. Tâchons de nous maintenir à la hauteur où il nous a placés. Je lisais autrefois dans Sénèque un passage latin dont j’essaierais en vain de te rendre toute la force dans notre langue, mais que je vais te traduire à ma façon : « La Dinivité ne perd pas de vue l’homme juste aux prises avec l’adversité ; elle se plaît à le contempler dans les combats vigoureux auxquels son amour paternel l’expose, et ne le reconnaît pour véritablement sien qu’à la fin de sa carrière. — Fournissons-la, ô Mimie ! fournissons-la avec zèle et constance cette carrière honorable ! Celle qui s’ouvrit à nous il y a un an n’était qu’un jeu d’enfans en comparaison de celle où nous sommes lancés : pour se soutenir dans la première, il ne fallait que de l’amour-propre ; pour marcher imperturbablement dans la seconde, il faut toute l’énergie de la vertu. »

Jamais Joseph Le Bon, s’il faut l’en croire, n’avait joui d’une plus grande tranquillité que dans sa prison, et à la constante sérénité de son langage on est disposé à penser qu’il dit la vérité. On peut supposer pourtant qu’il exagérait sa sécurité et sa confiance pour rassurer sa malheureuse femme, pour la relever de l’abattement douloureux où il la voyait plongée, et que son état de grossesse rendait dangereux. Il y réussissait par momens, elle reprenait courage, l’avenir lui apparaissait dans de flatteuses perspectives ; mais alors il craignait d’avoir dépassé le but en lui faisant concevoir des espérances qui ne pourraient être déçues sans lui porter un coup fatal : il essayait avec ménagement de la ramener à une vue plus juste de la situation, de la préparer ainsi à tout ce qui pouvait arriver. « Tu me vois déjà dans tes bras, lui dit-il, tu comptes sur la justice de ma cause. J’y compte aussi ; mais je n’ai point oublié l’acharnement de mes ennemis… Gardons-nous de nous livrer à de vaines espérances, n’attendons des méchans que le mal, et comptons au nombre des bienfaits les peines qu’ils négligent de nous faire essuyer. » — « Si quelque chose, lui dit-il encore, était capable de m’abattre, c’est de te voir si peu préparée au malheur. Quoi ! mon sort ne dépend ni de toi ni de moi, et tu te laisses aller à des espérances qui, si elles sont déçues par la perversité des hommes, doivent accroître un jour tes regrets ? Songe donc, ma chère amie, à t’affranchir encore de cette dépendance funeste ; que mes ennemis