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péens, leur intelligence, relativement supérieure, s’agrandit encore, leurs croyances se modifient, et, le flot alternatif de l’émigration et du retour se continuant sans cesse, leurs progrès, quelque lents qu’ils soient, ne peuvent manquer d’être continus. Un de nos camarades, qui depuis dix-huit ans s’applique à développer l’agriculture au Sénégal, le docteur Ricard, nous disait : « Les villages des Soninké sont peuplés de maçons, de charpentiers, d’ouvriers rompus aux procédés européens, et c’est à Sénoudébou que j’ai trouvé le plus d’esprits capables de comprendre, ayant la volonté d’appliquer nos instrumens et nos leçons d’Europe. » La cause déterminante de la supériorité de nos progrès dans le haut du fleuve, c’est, on le voit, la passion de ces races pour l’agriculture. D’autres causes, moins directes, ont eu aussi leur part d’influence sur ces progrès : ce sont les révolutions politiques et religieuses, à la suite desquelles les Soninké se sont divisés en deux pays hostiles : le Goy musulman, où Al-Agui le prophète a trouvé dans sa lutte contre nous de nombreux guerriers, et le Kaméra, qui recherche notre influence, prépondérante par l’établissement de Bakel et la présence de nos facteurs de Saint-Louis.

Ce que nous avons dit des populations du Gadiaga est vrai pour celles du Bondou et des provinces voisines, et surtout pour celles du Bambouck, qui, à la différence du Bondou, état peul et musulman, attaché à notre cause par la politique seule, est un état malinké ayant les mêmes mœurs et les mêmes traditions que les Soninké du Gadiaga. Du reste M. le gouverneur Faidherbe a donné les plus lumineuses indications sur ce chaos de races entre-croisées, mêlées, confondues en apparence, et ses recherches ont posé les bases de tout travail sur les populations sénégalaises, en même temps que sa direction politique est encore la meilleure à suivre.

Lorsqu’en juillet 1859 l’Etoile mouillait à Saint-Louis, la paix était signée avec les Maures vaincus, humiliés, sur les bases qu’avaient indiquées les dépêches ministérielles et après une guerre de trois ans, dont certains épisodes rivalisent avec les plus glorieux souvenirs de nos annales militaires[1]. Le prophète Al-Agui, refoulé dans le Kaarta et le Ségou, aux bords du Niger, laissait libre enfin la navigation du fleuve, de Saint-Louis à Médine et à Sénoudébou, jetant derrière lui comme une menace le poste de Guémou, commandé par le plus intelligent et le plus dévoué de ses talibas, son neveu Sirè-Adama. Il fallait se hâter de mettre à profit ces instans de trêve pour assurer les résultats obtenus. Cette tâche dans un pays comme le Sénégal, pour être moins brillante, exige autant d’énergie et de dévouement que la guerre la plus acharnée.

  1. Cette guerre a été racontée dans la Revue du 1er octobre 1858.