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de laptots, vieux soldats de toutes nos expéditions sénégalaises, de deux compagnies blanches d’infanterie de marine, que Sébastopol avait accoutumées à d’autres combats plus meurtriers. L’ordre de ne pas tirer un coup de fusil, d’aborder l’ennemi à la baïonnette, avait pu être exécuté grâce à leur calme et à leur courage. Il n’en avait point été ainsi de la colonne de droite. Le bataillon des tirailleurs sénégalais en faisait la force principale ; vingt-cinq spahis à pied marchaient en tête ; leurs vestes rouges, les longues plumes qui, par une fantaisie guerrière, flottent sur leurs chapeaux de paille les désignent aux coups de l’ennemi. À la première décharge, ils tombent presque tous, et parmi eux l’officier qui les commande. À cette vue, à cette fusillade soudaine, les tirailleurs oublient la tactique française, que, malgré quelques années d’expérience, ils n’ont point encore su appliquer aux guerres indigènes : ils ne reculent pas d’une ligne, mais ils se couchent et tiraillent sans avancer. Au lieu de fuir, l’ennemi continue le feu. Les officiers des tirailleurs, restés seuls debout, sont décimés par ces coups assurés. Le moment est critique ; le commandant Faron s’élance au galop, suivi des officiers de son état-major. À sa voix, les tirailleurs se relèvent, la colonne reprend sa marche en avant ; l’ennemi recule et cherche un refuge derrière les murailles, que les tirailleurs franchissent, le commandant à leur tête.

Abordé des deux côtés à la fois par les colonnes qui viennent de se rejoindre, le village est pris. Partout la flamme dévore les maisons, pourtant la fusillade continue, et à chaque instant quelqu’un des nôtres tombe mortellement frappé. C’est que, si le village est en notre pouvoir, la journée n’est pas finie encore ; l’obstacle le plus sérieux n’est pas détruit : cet obstacle, c’est la forteresse que Sirè-Adama s’est bâtie, où depuis trois années il s’est préparé à la lutte, et d’où il a juré de ne sortir que mort ou victorieux. Les échecs subis par Al-Agui devant les tours de Matam, de Bakel et surtout de Médine lui avaient révélé la force de pareilles défenses confiées à des soldats résolus. Aussi, dès qu’il eut choisi Guémou pour continuer ou reprendre la guerre sainte, son premier soin fut d’y créer, autant que le lui permettaient ses moyens, une tour d’où il pût défier nos attaques. Les briques manquaient, les pierres étaient éloignées et d’un transport difficile ; il avait néanmoins presque réussi. La forteresse, le tata de Guémou, consistait d’abord dans un ouvrage en terre casemate, adossé contre un baobab immense dont le tronc soutenait le poids de tout l’édifice. Un puits abondant creusé à grand’peine, des vivres pour plusieurs jours, de grands magasins de poudre, indiquaient la confiance qu’avait Sirè-Adama d’y résister à nos efforts. Une muraille en terre percée de