Page:Revue des Deux Mondes - 1863 - tome 43.djvu/550

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

meurtrières défendait cet ouvrage ; une palissade en branches de gonakés, aussi dures que le fer, entrelacées sur une épaisseur de cinq pieux et profondément enfoncées dans le sol, formait une deuxième ligne de défense ; enfin une muraille de 1m 50 d’épaisseur, construite avec des pierres du fleuve, mais qui heureusement n’était pas achevée et ne s’élevait qu’à un mètre du sol, ceignait sur trois faces l’ensemble des travaux. C’était là que Sirè-Adama nous attendait avec ses femmes et ses guerriers les plus dévoués. Les brèches faites aux angles de la muraille extérieure, et par lesquelles nous avions pénétré suivant ses prévisions, s’ouvraient sur des rues aboutissant devant le tata, sous le fusil même des Toucouleurs. Une muraille légère, semblable à toutes celles qui fermaient les groupes de maisons du village, masquait d’ailleurs la force du tata, et il fallait une reconnaissance sérieuse pour bien l’apprécier. J’ignorais, comme la plupart de mes camarades, l’existence de ce réduit ; de plus je n’avais pu suivre les incidens de l’attaque de droite : aussi, en retrouvant le commandant Faron à cheval au milieu du village, je crus que l’affaire était finie. Mes premières paroles furent donc des félicitations. « J’ai le regret, ajoutai-je, de vous annoncer que ma colonne a perdu quelques hommes et compte d’assez nombreux blessés. — Ce ne sont pas les seuls ; j’ai reçu moi-même trois blessures, et regardez… » Autour de nous, le sol était jonché de blessés et de mourans ; parmi eux le lieutenant Deleutre, la cuisse cassée par une balle, me souriait en me tendant la main. En ce moment, une décharge plus furieuse sifflait à nos oreilles. Frappé à la tête, le commandant Faron tournoyait sur son cheval et tombait dans nos bras. Des cris de joie où se reconnaissaient des voix de femmes, les notes graves et prolongées du tam-tam de guerre, accueillirent cette chute et me révélèrent l’existence du tata et la gravité de la situation.

Le commandant était-il mortellement blessé ? Peut-être. En tout cas, ses blessures me créaient une position exceptionnelle et que je n’avais pas prévue : le plus ancien par le grade des officiers de la colonne, j’étais appelé à en prendre le commandement. On concevra dès lors que je me borne à dire en quelques mots la fin de cette journée meurtrière, que dirigèrent d’ailleurs les ordres du commandant Faron. À deux heures, nos obusiers, en batterie à quinze pas de la palissade, avaient enfin fait brèche ; la charge sonnait sur toute la ligne, le tata était enlevé à la baïonnette. Sirè-Adama et ses guerriers avaient tenu leurs sermens : ils étaient morts jusqu’au dernier.

Quelques circonstances donnaient à la lutte un caractère un peu différent de ce qu’on voit en semblables affaires. L’incendie allumé