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tés politiques. Si les communes sont impuissantes à servir directement la liberté, leur émancipation la servirait au moins d’une manière indirecte en mettant un terme à cette prépondérance électorale du pouvoir exécutif qui naît de leur assujettissement.

Borner la centralisation, ce n’est pas peu de chose au moins, car on ne voit pas (c’est toujours l’objection qui parle) de pays qui soit tout à la fois libre et centralisé, c’est-à-dire où le droit du pays sur le gouvernement se concilie avec le droit du gouvernement sur les affaires locales du pays. On ne voit nulle part une nation se gouvernant elle-même qui dépende de l’état pour ses gestions communales. Cette dépendance doit aboutir à l’annulation politique du pays, car l’état, maître des affaires et pour ainsi dire de la vie locale, peut mettre un prix à ses décisions de tuteur, ardemment sollicitées chaque jour et sur chaque point, celui de la complaisance locale au jour de l’élection, de la préférence accordée à ses candidats. — Désistez-vous de la politique, et cous serez comblées d’ailleurs, voilà ce que l’état ne dit pas précisément aux localités, mais ce qu’elles entendent bien. — Or les localités, c’est le pays. On peut supposer à toute rigueur qu’elles sacrifieront leurs intérêts particuliers à leurs sentimens politiques; mais cette supposition extrême est uniquement pour ne rien omettre du sujet. Le moyen de croire vraiment au sacrifice de ces intérêts qui veulent être servis avant tout, qui composent le tissu, l’enlacement de la vie intime et quotidienne?

Par le mal que peut faire la dépendance des communes, on devine tout le bien qui naîtrait de leur émancipation. Cela est fort à considérer en soi, mais parmi nous principalement. En effet, si le droit de la France sur elle-même ne commence pas, ne s’enracine pas dans les localités, comment fera-t-il pour s’établir? Toute existence collective de l’ordre judiciaire, nobiliaire ou industriel a péri parmi nous : désormais chacun de nous est seul en face de l’état et de tous ses pouvoirs, de toutes ses influences; bref, nous n’avons pas d’aristocratie pour nous faire libres, comme cela se voit ailleurs. Si nous ne créons pas de communes pour remplir ce vide ou tout au moins pour refréner le pouvoir exécutif, d’où nous viendra la liberté? Montrez-nous donc, s’il vous est donné de les apercevoir, ces voies de liberté particulières à la France, compatibles avec la centralisation et avec le nivellement, et qui n’ont besoin nulle part d’un fonds d’indépendance, ni parmi les localités ni parmi les castes!

Le lecteur s’aperçoit que cette objection, avec ses insistances et ses gradations ascendantes, peut nous mener loin. On essaiera de la suivre partout où elle porte ; mais dès à présent il faut aborder et affronter ce point capital, sur lequel tout repose : est-il vrai qu’un pays centralisé ne puisse être libre?