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de pouvoirs, l’autorité centrale apparaît sans doute avec quelque chose de plus. Comme elle salarie le clergé, comme elle institue les juges et peut leur dispenser l’avancement, auquel ils ne sont pas insensibles, comme tous les agens financiers sont à elle, et non plus, ainsi qu’autrefois, aux traitans, aux fermiers-généraux, elle acquiert évidemment, par là des moyens d’action, un surcroît d’importance; mais ce qui ressort et s’élève par-dessus tout avec un relief incroyable, c’est l’individu fortifié, reconnu, sacré en quelque sorte. Sans même regarder à la liberté politique, une question encore pendante, voyez donc ce que la révolution a fait de l’individu par le droit intellectuel, religieux, juridique, fiscal, industriel, qu’elle a créé en sa faveur, comme aussi par le droit aux places, qu’il ne faut pas oublier dans un pays où les places font une telle figure ! N’est-ce rien que cette abolition de tout ce qui le bornait et le comprimait, corps et âme, sous le nom de monopoles, de religion d’état, de douanes intérieures, de noblesse excluante?

Tandis que l’individu est relevé à cette hauteur, rien ni personne n’est oublié, n’est dégradé pour cela. Un singulier drame où il n’y a pas de victimes! une partie étrange où l’on cherche en vain des perdans! car encore une fois la tradition, en ce qu’elle avait de nécessaire, a persisté, car le personnel des castes n’est pas frappé d’exclusion par la loi nouvelle. A défaut de ses privilèges perdus, il a sa part dans le droit commun et rencontre là autrement de sûreté que le plus grand seigneur n’en avait dans son titre, que le connétable de Bourbon lui-même n’en trouva dans ses fleurs de lis. Le droit, telle est la grande nouveauté de nos temps; le droit pour tous, créé en faveur de qui n’en avait pas, conservé à qui l’avait déjà, sauf en cette extrémité, en cette difformité qui faisait privilège.

Quand l’état sous l’ancien régime prenait quelque chose aux castes, il le prenait pour lui-même, pour lui seul, sans équivalent ni compensation, soit pour le public, soit pour le patient; mais la révolution en a usé tout autrement avec les castes, et rien ne ressemble dans ses œuvres, soit à Louis XIV s’emparant de la régale, soit à l’abolition des jésuites par Choiseul, soit à l’abolition ou plutôt à la spoliation du parlement par le chancelier Maupeou : de pures violences dont la royauté était seule à profiter. Ce n’est pas ainsi que l’on procède depuis 89. Tout ce qui perd un privilège acquiert le droit commun, obtenant en retour de ses distinctions évanouies plus de force et de sécurité, subissant le niveau, il est vrai, mais un niveau plus élevé que la hauteur même dont quelques-uns jouissaient jadis.

Ces lois nouvelles, cet état de société supérieur, peuvent être éludés ou pervertis à l’occasion, comme toute chose humaine. Ce qu’ils