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the queen, et chacun ne songe qu’à oublier un moment des souffrances dont personne n’est coupable. En suivant la procession, j’entrai dans la salle, qui se remplissait rapidement; les ouvriers prenaient place en rangs devant de longues tables serrées les unes contre les autres. Une estrade était élevée pour les visiteurs, mais les ministres avaient leur table dressée au milieu de celles des ouvriers, dont ils tenaient à partager le dîner. Après une espèce d’hymne chantée debout par tous les ouvriers, le dîner commence joyeusement et se continue bruyamment. En ayant pris ma part, je puis certifier qu’il était fort bon. Et quand je quittai la salle, pressé par l’heure du chemin de fer, je rencontrai encore une longue file de roast-beefs fumans qui montaient l’escalier de l’hôtel de ville. Il n’y avait pas besoin de souhaiter un bon appétit à ces braves gens qui terminaient dans la joie une année si fertile en souffrances. Et, quelque menaçantes que soient les perspectives de l’année nouvelle, la satisfaction peinte sur tous ces honnêtes visages me donnait bon espoir pour l’avenir. Je n’y voyais pas seulement le signe d’une grande crise victorieusement traversée grâce à la charité spontanée de tous les rangs de la société, mais surtout le gage d’une union plus intime entre les classes propriétaires et les classes ouvrières : union fondée sur une confiance et une estime réciproques et sur la saine connaissance des intérêts communs qui les rendent solidaires; garantie la plus sûre de l’ordre public chez les peuples libres, et base nécessaire de toute liberté dans nos sociétés modernes.


Dans ce tableau des misères des ouvriers anglais, tout le monde aura senti avec nous un reflet des maux dont souffrent nos propres ouvriers. Dans l’exposé des précautions ingénieuses prises chez nos voisins par la bienfaisance volontaire, tout le monde aura vu des exemples dignes d’être suivis; comment n’aurait-on pas été frappé surtout de la combinaison aussi efficace que délicate réalisée par le Hulme Institute, où les ouvriers secourus sont chargés eux-mêmes de l’administration de la bienfaisance, combinaison que nous pourrions si facilement nous approprier dans les circonstances présentes avec le mécanisme de nos sociétés de secours mutuels? Tout le monde enfin aura compris la conclusion qui se dégage de ce qui précède : il faut que la fraternité sociale n’accomplisse pas son œuvre en France avec moins de vertu et de grandeur qu’en Angleterre.


E. FORCADE.