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constitué dans leurs états, que ces souverains, enivrés de leur puissance, la proclamaient éternelle, et ils prenaient à tâche d’instruire la postérité de ce qu’ils avaient accompli durant leur vie. Et pourtant des invasions de barbares vinrent battre en brèche et renverser ces empires éphémères : il y eut des temps d’arrêt dans la période de destruction ; mais peu à peu le silence se fit autour des palais somptueux qui retentissaient jadis du bruit des fêtes. Les nouvelles générations, insouciantes du passé, inhabiles à en continuer la tradition et incapables d’en comprendre la grandeur, n’apprirent rien au contact de ces ruines éloquentes. Puis parut l’islamisme, dont la mission semble avoir été de tout anéantir de ce qui rappelait la gloire des temps anciens. Ce fut lui qui acheva de ruiner et de défigurer l’antique Égypte, et s’il eut, sous les dynasties dont les noms sont restés fameux, son prestige et son rayonnement, il n’en est pas moins vrai qu’il n’a rien pu fonder de solide et de durable. Le germe de la mort était en lui dès le principe ; une religion qui flatte et excite les plus mauvaises passions de l’homme doit tôt ou tard conduire à la dissolution et à l’abrutissement les populations qui en subissent le joug. L’Orient est le pays de la lumière, ex Oriente lax ; voilà pourquoi la barbarie orientale conserve encore je ne sais quel aspect pittoresque et brillant. Monté sur des coursiers incomparables, muni d’armes étincelantes, paré de riches costumes, le cavalier musulman captive nos regards et séduit nos imaginations. Qu’importent les mille ruelles infectes et sombres qui composent une ville turque ? Elle a ses minarets sveltes et élancés qui se dressent au-dessus des toits abaissés comme le palmier au-dessus des roseaux ; elle compte quelques palais dont les dômes reluisent au soleil, dont les murs sont percés de trèfles finement découpés. Fils des pays occidentaux où tout est terne, nous sommes entraînés vers l’Orient, et nous sourions à la vue des tableaux féeriques qu’il nous offre à chaque pas. Et puis le soleil est là, ce grand enchanteur qui, à force de lumière, nous fait oublier les misères et les hontes cachées !

Cependant la civilisation de l’Europe a débarqué aux bouches du Nil. Vous avez beau remonter le noble fleuve jusqu’en Nubie, derrière vous retentit la pioche des terrassiers qui vont ouvrir un canal entre les deux mers. Il y a de grands capitaux engagés dans ce delta dont le nom n’était jamais prononcé à la Bourse ; la fumée des usines noircit ce ciel d’azur sur lequel on ne voyait passer que l’aile du flamand, aussi rose que le soleil à son coucher. On ne peut donc plus parler de l’Égypte ancienne sans s’occuper de l’Égypte du présent et de l’avenir. Les auteurs de la Vallée du Nil n’ont point omis de toucher à ces questions nouvelles. Pays fertile et salubre, traversé par un fleuve immense qui lui tient lieu de grande route, la terre des Pharaons attire sur elle les regards de l’Europe. La voilà plus que jamais sur la route de l’extrême Orient, et elle devient comme la première étape du chemin qui conduit en Chine et au Japon. Elle plaît surtout aux Français, qui les premiers y ont paru avec un éclat incomparable, guidés par le génie de Bonaparte ; ils y ont pris pied en quelque sorte, non