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écrites, il y a bientôt neuf ans, au sommet d’un promontoire du rivage californien, M. Vigneaux a parcouru le Mexique et rédigé la plus grande partie de ses notes à une époque où personne ne pouvait encore supposer qu’une armée française envahirait un jour le territoire de la principale république hispano-américaine. Alors la grande préoccupation des Mexicains était de repousser les expéditions dirigées contre leur territoire, soit en vue d’agrandir le domaine de l’esclavage, soit dans des pensées de conquête.

Après Walker, le comte Raousset de Boulbon est le plus célèbre de tous les chefs de bandes qui, moins heureux que Cortez, ont vainement essayé de réduire le Mexique avec quelques centaines d’hommes. En 1852, il avait remporté la brillante victoire d’Hermosillo, mais au lieu de mettre son triomphe à profit, il avait laissé sa petite armée se fondre tout entière, et bientôt, se trouvant à peu près seul, il avait dû revenir en Californie, où il s’occupa de préparer une deuxième invasion. Au commencement de 1854, après de nombreux contre-temps, il saisissait enfin une occasion de partir et s’embarquait pour Guaymas, le port de la Sonora. M. Vigneaux, très jeune encore et possédé du démon des voyages, s’était engagé à suivre l’aventurier français en qualité de secrétaire, croyant qu’il s’agissait d’arracher la république mexicaine au despotisme de Santa-Anna et d’aller se faire acclamer comme des libérateurs par tous les hommes de progrès. Il reconnut promptement son erreur. La plupart des hommes admis par M. de Raousset étaient loin d’être des héros comme il en aurait fallu pour cette rude tâche de l’affranchissement du Mexique ; quelques-uns d’entre eux, ramassés dans les rues de San-Francisco, étaient des misérables sans courage et sans vergogne. Enfin le chef lui-même manquait des qualités nécessaires pour la réussite. Mauvais juge des hommes avec la prétention de savoir les commander, dépourvu de coup d’œil et d’initiative dans les circonstances difficiles, rempli d’hésitation au moment des résolutions suprêmes, « effrayé par la perspective de la victoire, » il était aventurier de fantaisie sans avoir aucune des qualités du véritable aventurier, si ce n’est une bravoure léonine qu’il ne savait malheureusement pas modérer au fort de la lutte. Ce qui lui causa peut-être le plus de tort, ce fut sa politique de ruses. Il se posait comme le restaurateur de la république mexicaine, et cependant il préparait en secret la monarchie ; il envahissait le pays dans l’intention de renverser le gouvernement de Santa-Anna, et pour introduire plus facilement ses hommes au Mexique, il ne trouvait d’autre expédient que de les faire enrôler dans cette armée qu’ils allaient avoir à combattre, mettant ainsi sa troupe dans l’obligation de trahir avant de tirer le premier coup de fusil. On sait le reste. Après avoir longtemps hésité, M. de Raousset engagea la lutte le 13 juillet 1854 ; mais, abandonné d’une partie des siens, il fit en vain des prodiges de valeur ; il tomba vivant entre les mains de ses ennemis, et quelques jours après il était fusillé.

Le général mexicain Yañez usa de sa victoire avec une remarquable modération. Pendant la bataille, il était resté exposé aux balles françaises.