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Jusqu’ici le système que nous résumons ne nous a pas donné l’explication de la situation actuelle. En effet, si entre les deux principes qui se considèrent comme hostiles l’un à l’autre règne au fond la plus intime harmonie, d’où vient la lutte trop réelle qui éclate sous nos yeux entre l’église et la société laïque issue de la révolution française? Le catholicisme est la forme qu’a revêtue la religion chrétienne pendant un grand nombre de siècles, et qu’elle conserve dans plusieurs pays de l’Europe : or d’où vient que les représentans autorisés du catholicisme prétendent qu’il est inconciliable avec les idées, les droits, les libertés de l’époque actuelle, qui, à vous en croire, sortent directement de la réparation chrétienne? Le clergé a-t-il perdu l’intelligence du christianisme, ou bien est-ce le sens des faits nouveaux qui lui échappe? Cette difficulté est grande : à vrai dire, elle forme le nœud de la situation religieuse des pays catholiques. M. Bordas-Demoulin n’en avait point méconnu l’importance; il y avait appliqué pendant trente ans toutes les forces de son esprit. Il espérait avoir trouvé les causes de cette lutte déplorable de deux forces nécessaires l’une à l’autre et les moyens d’y mettre un terme. Voici en quelques mots les résultats auxquels il était arrivé sur ce point. C’est peut-être la partie la plus originale et la plus vraie de sa théorie de l’histoire.

Le fondateur du christianisme, rompant avec les anciennes traditions théocratiques, avait nettement séparé son domaine de celui de l’état. S’il est une vérité certaine, c’est celle-là; mais le christianisme se développa au milieu d’une société où la distinction du spirituel et du temporel était inconnue. Aussi, quand Constantin eut embrassé la religion nouvelle, celle-ci ne tarda pas à devenir également théocratique et à se confondre avec l’état. Ce fut sans doute un grand malheur pour l’église, car en s’unissant à la société elle en prit tous les vices : la corruption et le despotisme entrèrent dans son sein; mais la Providence sut tirer le bien du mal, et c’est ainsi seulement que purent être déracinées les idées, les mœurs, les lois païennes et juives. Pour qu’une organisation politique et sociale en rapport avec l’idéal de la rénovation chrétienne pût se développer, il fallut que la religion s’emparât de l’homme, même extérieurement. De cette nécessité est sorti le régime du moyen âge. L’église ne pénètre dans l’état que pour le dominer. Les papes vont même jusqu’à prétendre à la théocratie universelle, prétention qu’ils n’ont pas encore complètement abandonnée de nos jours. En même temps le monachisme s’attaque à tous les intérêts terrestres, et poursuit, extirpe les sentimens de l’antiquité. Vers l’an 1000, on attendait la fin du monde : c’était en effet la fin de l’ancien monde, mais c’était aussi le commencement d’un monde nouveau, car, sous la rude dis-