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dith est nécessaire dans le drame de M. Hebbel malgré l’affirmation contraire du saint livre, — la belle juive a des emportemens sublimes, des émotions contradictoires la désolent, et le poète, en peignant ce délire d’une âme chaste, a trouvé des accens de génie. Rien de pareil chez Salammbô ; pas un éclair de la vie morale, tout se passe dans le domaine obscur de la sensation. C’était bien la peine d’avoir quitté avec fracas les corruptions du village normand pour les splendeurs de Carthage ; après tant d’efforts, après tant de labeurs convulsifs, nous voici ramenés, comme dans Madame Bovary à des questions d’analyse médicale. La principale différence entre la fille du père Rouault et la fille d’Hamilcar Barca, c’est que Salammbô est décidément somnambule. Sensuelle et extatique tout ensemble, l’esprit chez elle n’a pas conscience des curiosités de la chair. Admirable progrès ! réforme excellente ! Chaque fois que Salammbô paraît, dans l’orgie des mercenaires, pendant ses conférences avec le prêtre-eunuque, sous la tente de Mâtho, sur la terrasse d’où elle contemple le supplice et l’agonie du malheureux qui l’a pressée dans ses bras, on peut répéter ces paroles que l’auteur lui-même applique à un des tableaux de son livre : « Une lasciveté mystique circulait dans l’air pesant. » Si l’héroïne de M. Flaubert n’était pas somnambule, comment comprendre la scène bestiale du python ? Si elle n’était pas justiciable de la critique médicale autant et plus que de la critique littéraire, comment juger l’intérêt qu’elle prend aux tortures de son amant, la curiosité qui l’enivre, la révélation qui se produit en elle, l’amour enfin, l’amour qui éclate dans sa conscience réveillée, à la vue de ce malheureux écorché, de cette longue forme rouge, qui marche toujours, toujours, les yeux attachés sur les siens ? Et voilà les sujets que l’art nouveau se plaît à étaler sous nos yeux, voilà les problèmes qui lui paraissent dignes d’étude et les beautés qu’il veut qu’on admire ! O poétiques figures qui avez enchanté notre jeunesse, figures si dissemblables et pourtant de même famille, vous qui aviez une âme, Elvire, Esmeralda, Kitty Bell, Marie, Rachel et Ahasvérus, Valentine et Bénédict, Frédéric et Bernerette, Amaury et Mme de Couaën, qu’êtes-vous devenues ?

Nos entreprises sont nouvelles, répondent les partisans de la secte réaliste, et c’est précisément à l’idéalisme de l’école précédente que nous opposons des figures prises hardiment dans le vif de la nature. — Ici encore j’invoque l’autorité de Goethe, et je me demande ce que penserait le grand réaliste à la vue de ces inventions barbares qui prétendent se rattacher à lui. C’était l’esprit le plus ouvert à toutes les nouveautés, et de plus l’école dont vous prenez le nom le reconnaît pour son chef ; il vous est impossible de récuser un tel