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nécessaires ou possibles. Le public assiste, avec une indifférence sceptique, aux regrets languissans des uns et aux lointaines espérances des autres, uniquement préoccupé des intérêts de la vie civile et de son repos après tant d’orages.

A cet état des partis et des esprits se joignent deux idées qui ne sont pas nouvelles, mais qu’on travaille plus activement que jamais à accréditer. On dit qu’après tout c’est la révolution française, ce sont ses principes et ses intérêts généraux qui triomphent aujourd’hui, et que ce triomphe importe bien plus à la France que celui de la liberté politique. On ajoute que, si la liberté souffre, l’égalité ne souffre point, et qu’entre les conquêtes de la révolution la France tient bien plus à l’égalité qu’à la liberté.

Je crois ces deux idées radicalement fausses et funestes. Je crois l’indifférence publique, en fait de liberté, plus apparente que réelle et essentiellement transitoire. Je crois les amis de la liberté politique appelés à reprendre, dans le pays et dans son gouvernement, leur influence, et par conséquent tenus de ne pas se livrer à un découragement naturel, mais non légitime.

Ni les considérations morales, ni les exemples historiques ne me manqueraient pour les rassurer et les ranimer. Quelle est, dans la vie des peuples, la grande cause qui n’a pas éprouvé de cruels revers, passé par de tristes alternatives et mis des siècles à triompher? Dieu vend cher aux hommes le progrès et le succès. Avec la Hollande, l’Angleterre et les États-Unis d’Amérique sont, dans les temps modernes et chrétiens, les deux nations qui ont le plus fortement conquis et possédé la liberté politique. Que n’en a-t-il pas coûté à l’Angleterre! Que de révolutions et de réactions! Que de temps, de sang et de travail ! Quelles phases de lassitude et de corruption ! Et où en est aujourd’hui, où en sera demain la grande république américaine? Qui sait quel jour et à quel prix elle recouvrera sa paix et sa prospérité? Qui sait si elle revivra? L’Angleterre aurait-elle dû, pour s’épargner tant d’efforts et d’épreuves, renoncer à la liberté politique? Et l’Amérique de Washington et de Franklin doit-elle désespérer d’elle-même parce que son gouvernement se trouve trop mal constitué et trop faible pour les questions qu’il a à résoudre? A coup sûr, ni l’un ni l’autre de ces grands peuples n’est disposé à croire la liberté politique trop chèrement achetée par les souffrances et les sacrifices qu’elle leur a imposés ou qu’elle pourra leur imposer. Mais je laisse là l’Angleterre et l’Amérique; je sais le peu d’empire qu’ont, en pareille affaire, des considérations générales et des exemples étrangers : c’est dans notre France même, dans notre propre histoire et dans notre histoire contemporaine, que je veux chercher et que je trouve mes raisons de fidélité active à la liberté politique et de confiance dans son avenir parmi nous.