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a désormais acquis le droit de veiller à l’accomplissement de ces réformes. Notre pays a de plus en Orient un droit imprescriptible d’initiative qui s’appuie sur d’impérissables souvenirs et sur de puissantes sympathies.

Les mouvemens qui se manifestent chez les Arméniens de la Turquie ont d’ailleurs une grande importance eu égard à la situation de l’empire ottoman et par les résultats inévitables qu’ils font prévoir. La Turquie, malgré la vaste étendue de son territoire, n’a plus qu’une existence incertaine. Le prestige qui entourait son passé a disparu, et le colosse qui, il y a deux siècles encore, tenait l’Europe dans un continuel effroi ne se soutient plus qu’avec l’appui des puissances européennes. Les raïas, mettant à profit la faiblesse des dominateurs, ont depuis plusieurs années déjà commencé à se mouvoir plus librement dans les liens que relâchaient leurs maîtres. Au milieu de toutes ces nationalités différentes qui s’agitent dans l’orbite même de l’empire, les Ottomans voient de jour en jour un abîme plus profond se creuser sous leurs pas. La Turquie, entièrement composée d’élémens hétérogènes, forme moins une nation qu’un étrange assemblage de peuples différens par la race, la religion, le langage, et n’ayant entre eux d’autre lien que la chaîne commune de la plus dure oppression. La race conquérante et dominatrice n’entre tout au plus que pour un tiers dans la population de l’empire. Sur les trente-cinq ou quarante millions de sujets du sultan, on compte à peine douze millions d’Ottomans ; le reste est un mélange de musulmans, de chrétiens, de juifs et même d’idolâtres, ayant tous leur physionomie et leur individualité propres. En Afrique, où la Turquie ne possède de fait qu’une seule province, — la régence de Tripoli, — les vassaux de l’empire répandus en Tunisie et en Égypte sont pour la plupart des Arabes, des Coptes et des Abyssins. En Asie, le mélange des races offre les plus singuliers contrastes : ce sont d’abord les Arabes, dont le nombre est considérable, les Kurdes, les Turcomans, les Grecs, les juifs, et une foule de semi-nationalités distinctes, comme les Chemsiés, les Yézidis, les Noussariés, les Ismaëliens, les Maronites, les Druses, les Lazes, les Tsiganes ou Bohémiens, etc. ; dans les provinces turques de l’Europe, ce sont de nombreux représentans des races grecque et juive, puis des Roumains, des Slaves et des Albanais. Ces trois derniers groupes, sous le nom de Moldo-Valaques, de Serbes et de Monténégrins, ont à peu près réussi à maintenir leur indépendance en conservant, sous l’autorité nominale de la Porte, une administration particulière, des princes indigènes et une armée nationale. Viennent enfin les Arméniens, dont l’émancipation civile ne peut se faire attendre, surtout depuis que les événemens du Taurus appellent