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réputation européenne dans la carrière des armes et dans celle de l’administration. Le petit nombre d’Arméniens habitant aujourd’hui l’Arménie persane, qui a été réunie à l’Adherbeïdjan, et la Perse proprement dite, tend à sortir de plus en plus de l’état malheureux où l’avait plongé le despotisme du chah Abbas et de ses successeurs. Émancipés depuis de longues années déjà, ils jouissent des mêmes droits que les Persans malgré la différence de religion. Quelques Arméniens de la Perse ont même acquis dans ces derniers temps une certaine célébrité, comme Manutschar, Khosrow, Avag, Arouthioun, M. Enacolopoff, etc. Le nombre des Arméniens de la Perse serait aujourd’hui beaucoup plus considérable, si les persécutions qu’ils endurèrent au XVIIe siècle ne les eussent forcés à émigrer en masse dans les Indes et à Java, où prospèrent leurs colonies. En Turquie enfin, les Arméniens sont beaucoup plus nombreux que partout ailleurs. L’Arménie turque à elle seule forme six gouvernemens, Erzeroum, Diarbekir, Kharpourt, Adana, Bozouk et Sivas; mais dans les provinces reculées aussi bien qu’au siège même de l’empire, les Arméniens ont toujours été soumis au despotisme le plus brutal, et quelques-uns d’entre eux n’ont dû leur élévation qu’à des caprices bizarres de la fortune. Adonnés surtout au négoce et à l’agriculture, ils sont parvenus, grâce à leur intelligence, à s’emparer, non sans de grandes difficultés, du commerce continental de la Turquie d’Asie et à réunir entre leurs mains la plupart des grandes opérations financières du pays. Les Turcs, utilisant leurs services et mettant à profit leur génie administratif, ont confié à titre de ferme à des Arméniens les directions des monnaies, des poudres, des douanes et des manufactures de soieries qui appartiennent au gouvernement; mais ces Arméniens privilégiés, dont les uns jouissent d’une certaine influence, ont peu fait pour procurer à leurs compatriotes un état meilleur. Celui qui parmi eux s’est acquis une véritable renommée est Cazès-Arouthioun, directeur des monnaies et ami personnel de Mahmoud II, le sultan réformateur. On lui doit la fondation d’écoles, d’hôpitaux et d’églises. Ses immenses trésors furent employés en grande partie à secourir ses compatriotes malheureux et à venir en aide à toutes les infortunes. On raconte que cent mille personnes, appartenant à toutes les croyances et à toutes les nationalités de la capitale, assistèrent à ses funérailles, Sultan Mahmoud, qui, d’une fenêtre de son palais, vit cette affluence énorme de peuple, en ayant demandé la cause, apprit la mort de Gazés, qu’on lui avait cachée : «Pauvre Gazés, s’écria-t-il en versant d’abondantes larmes, les seules qu’on lui eût vu répandre dans toute sa vie, pauvre Cazès, pourquoi m’abandonnes-tu si tôt! » Cazès avait en effet sauvé les finances de l’empire après la campagne malheureuse que le sultan