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avait soutenue contre l’empereur Nicolas. Grâce à ses combinaisons, il avait pu acquitter la contribution de guerre que la Turquie devait payer à la Russie, et Mahmoud n’avait jamais oublié le service qui lui avait été rendu en cette circonstance. On doit reconnaître que les membres des familles Duzz-oglou, Dadian, Eramian, Allahverdi, qui sont aujourd’hui à la tête des monnaies, des poudres et des grandes maisons de banque de Constantinople, n’ont jamais joui auprès des sultans de la même influence que Cazès. Leur rôle, il faut le dire, se borne à amasser des capitaux sans trop s’inquiéter de l’avenir de la nation qu’ils représentent dans le conseil civil. On les dit animés de bonnes intentions, mais les affaires relatives à la constitution prouvent que leurs vues politiques sont loin d’être à la hauteur des besoins actuels de leurs compatriotes. Dans les provinces de l’empire où l’influence de ces grandes familles n’a jamais pénétré, les Arméniens sont toujours administrés selon le régime du bon plaisir des pachas et de leurs chefs de corporation (millet-bachi), en butte aux vexations et aux injustices des musulmans; même sur certains points de l’Asie, ils sont exposés aux attaques et aux brigandages des tribus turcomanes, kurdes et circassiennes qui campent dans les steppes de l’Asie occidentale.

En dehors des états musulmans, les colonies fondées par les Arméniens se sont rapidement développées, grâce à l’intelligente activité qu’ils apportent dans toutes les branches de la spéculation. Il faut toutefois mettre à part les Arméniens établis dans la Galicie, dans la Transylvanie et dans la Hongrie, dont les développemens sont entravés par suite des exigences et des tracasseries du gouvernement autrichien. Ceux de l’Inde, qui sont sujets anglais, et ceux de Java, qui dépendent de la Hollande, ont vu leur nombre s’accroître, et parmi eux des hommes d’une rare intelligence acquérir en fort peu de temps des richesses considérables. En général, les Arméniens ont de tout temps montré pour le négoce une aptitude peu ordinaire. Les auteurs des Lettres édifiantes les représentent déjà comme fort bien doués pour le commerce. Spécialement adonnés aux petites transactions, ils s’enrichissent peu à peu. Dépassant rarement les limites d’un commerce de détail, ils parviennent à concentrer dans leurs mains toutes les petites industries de bazar. Autant toutefois le petit commerce leur réussit, autant les grandes spéculations leur deviennent fatales. On cite bien quelques Arméniens qui ont fait de grandes fortunes dans la banque et le haut commerce ; mais ces cas sont rares et ne doivent être regardés que comme de notables exceptions.

Heureusement cette aptitude commerciale n’a pas arrêté leur essor intellectuel. Tout le monde connaît la célèbre congrégation de