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ment aux abords du village permit aux femmes et aux enfans de se réfugier avec les troupeaux à Zeïthoun. Les défenseurs se replièrent ensuite dans les maisons, que les bachi-bozouks emportèrent d’assaut et détruisirent par la flamme. Poursuivant alors sa marche, Aziz s’engagea dans une plaine appelée Ilidjé, à trois heures de Zeïthoun. Là se trouvent un hameau et le couvent de Saint-Sauveur, résidence de quelques moines. Arrivé dans ce lieu, Aziz fit enfoncer par ses soldats la porte du monastère, et, n’y ayant rencontré que quatre religieux et une vieille femme qui avaient cru trouver un sûr asile au pied des autels, il donna froidement l’ordre de les massacrer. Pour mettre le comble à sa barbarie, il fit tuer un chien, dont les restes sanglans furent jetés sur les cadavres de ses victimes. Le pillage de l’église, la profanation des vases sacrés, tous les forfaits qu’une soldatesque brutale peut commettre, les sbires d’Aziz ne craignirent point de s’en rendre coupables sous les yeux de leur chef. Le hameau et les constructions du monastère, les moulins et les forges furent incendiés, et il ne resta pas debout une seule maison de Saint-Sauveur. Aziz montra dans cette journée une froide cruauté; on a peine à comprendre qu’un homme qui a visité l’Europe et qui a vécu dans notre milieu occidental ait pu descendre à ce degré de sauvage barbarie. Aziz appartient à cette jeune génération turque qui vient emprunter à notre civilisation ce qu’elle a de superficiel, mais conserve au fond du cœur tout l’ancien fanatisme. Aziz est un des types les plus saillans de cette école; on reconnaît en lui un de ces Turcs de la réforme qui ne sont trop souvent que les dignes émules des adeptes du vieux régime.

Le pacha victorieux allait cependant traiter, quand on annonça l’arrivée de nouvelles forces venues de Marach. Les chefs qui commandaient ces troupes déclarèrent que leurs hommes, avides de butin, ne consentiraient point à revenir sur leurs pas sans avoir combattu, et que du reste ils ne les avaient amenés qu’à la condition de les conduire dans la ville même de Zeïthoun. Le pacha rompit dès lors brusquement les négociations entamées, et renvoya les kaïa arméniens en leur disant qu’il allait marcher en avant. Tels furent les préludes de la sanglante journée du jeudi 14 août. Ce jour-là, l’armée musulmane s’avança, sur trois colonnes soutenues par de l’artillerie, dans la direction de Zeïthoun. Les Arméniens, très inférieurs en nombre, reculèrent sans brûler une cartouche devant la cavalerie musulmane, qui ravagea tout sur son passage, incendiant les moissons, brûlant les fermes et commettant d’épouvantables excès. Cependant les Arméniens s’embusquaient dans les rochers : le pacha, voyant que sa cavalerie ne pouvait les atteindre, fit pointer ses pièces sur les positions défendues par eux, afin que