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polonais du gouvernement. Le comité central prélève des contributions considérables, payées avec une facilité et une exactitude étonnantes. C’est lui qui envoie aux volontaires les ordres de départ ; il les avertit et les expédie, sans précipitation, avec le plus grand ordre, en ménageant son recrutement clandestin de telle façon que les bandes, malgré leurs engagemens avec les Russes, maintiennent leur effectif au même nombre d’hommes. Les bandes sont partout ; il n’est pas de forêt qui n’ait la sienne. Battues dans un endroit, elles se dispersent et reparaissent quand les Russes sont partis. Ce qui manque toujours, ce sont les armes. La passion de mourir y supplée. On. ne vit jamais nulle part rien de semblable. Cette conjuration universelle, et qui se dévoue au martyre, est, au point de vue politique, la condamnation la plus absolue de la domination russe. Comment un peuple peut-il avoir la prétention pratique de gouverner un autre peuple au milieu duquel il se trouve plus étranger qu’il y a un siècle ? Les Polonais semblent résolus à ne point laisser s’éteindre faute de victimes un incendie d’où ils espèrent voir la Pologne renaître. ils sont la proie d’une illusion invincible. Rien de touchant comme la foi qu’ils gardent à la France. Les discours de M. Billault n’y ont rien fait. À ceux qui leur parlent des difficultés que la France peut éprouver à les secourir, de l’impuissance où elle est de former pour eux autre chose que des vœux, des conseils de prudence qu’elle leur adresse, ils répondent par une incrédulité souriante, et, comme les Italiens il y a trois ans, ils opposent aux sceptiques et aux timides une confiance mystérieuse et imperturbable.

Quant aux Russes, en dépit du décret d’amnistie, ils sont intraitables et paraissent se préparer à pousser la répression jusqu’aux dernières extrémités. La nomination du vieux général de Berg indique bien la résolution inflexible du gouvernement de Pétersbourg. Ce général, qui a été de 1831 à 1838 en Pologne l’instrument de toutes les mesures tyranniques et de toutes les cruautés de l’empereur Nicolas, réussira-t-il à ramener un peu d’ordre et d’unité dans le commandement militaire ? Si les forces de l’armée russe s’accroissent sans cesse, on assure qu’il n’y a point d’entente entre les généraux. Ils ne sont unis qu’en une chose, la même passion de répression violente. On n’a rien exagéré dans ce que l’on a rapporté de l’indiscipline et de la démoralisation des troupes russes ; on est souvent obligé de leur promettre le pillage pour les faire aller au combat. Les anciens officiers du Caucase ne voient d’autre moyen d’en finir avec la Pologne que l’emploi contre un pays chrétien des procédés qu’ils se croyaient permis en pays musulman. Quant à la pensée de la politique russe, le grand-duc Constantin ne la dissimulait point dans un entretien avec un conseiller d’état démissionnaire auprès duquel il essayait encore, mais en vain, au point où les choses en sont venues, de faire valoir les réformes administratives. Il lui disait que la diplomatie étrangère proposait à l’empereur et à la Russie un congrès pour les affaires de Pologne. Il lui déclarait que jamais l’empereur ni la Russie n’accepteraient cette proposition, que la tutte actuelle était une lutte