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excellence est aujourd’hui de mettre la pratique de la constitution d’accord avec son esprit, et de faire de la souveraineté nationale une vérité. Les moines ont été souvent plus forts que les bonnes raisons, et nous n’osons croire que les candidats indépendans l’emportent cette fois sur les préfets ; mais ces candidats ont une bonne cause, la liberté, et un cri d’élections qui retentira victorieusement dans l’avenir de la démocratie française : émancipation du suffrage universel par le développement des libertés qui peuvent seules lui donner le discernement et la sincère expression des intérêts, des sentimens et des opinions de la France.

S’il est une question étrangère qui parle aux plus généreux sentimens de notre pays et qui mérite d’avoir un écho dans nos élections, c’est la question polonaise. Le décret d’amnistie de l’empereur Alexandre paraît destiné à avoir le sort de toutes les concessions tardives : il sera inefficace. On comprendrait difficilement qu’il en pût être autrement, pour peu que l’on soit au courant de ce qui se passe en Pologne. Qu’est-ce après tout que l’empereur Alexandre offre aux Polonais par l’amnistie ? Une capitulation avec la vie sauve. L’insurrection n’en est pas réduite au point où l’on accepte de pareilles conditions. Que signifie d’ailleurs la., promesse de maintenir les institutions administratives ? Le gouvernement russe n’a-t-il pas détruit lui-même de gaité de cœur les espérances que ces institutions auraient pu faire concevoir à la Pologne en accomplissant la cruelle mesure du recrutement, en ne tenant aucun compte des protestations du conseil d’état contre ce guet-apens odieux, en laissant ce conseil se dissoudre par la démission de ses membres ? Pour apprécier l’état véritable de la question polonaise, il faut se rendre compte des dispositions des Polonais, des dispositions des Russes, et de la portée des engagemens que la France, l’Angleterre et l’Autriche viennent de prendre par leur intervention diplomatique auprès du tsar.

La défaite de Langiewicz a produit en Pologne un effet tout contraire à celui que l’on en avait attendu en Europe. Au lieu de décourager le mouvement national, ce revers n’a fait que le généraliser et l’exaspérer. Toutes les classes maintenant s’y associent. La noblesse s’y met tout entière, la classe bourgeoise, les ouvriers s’y précipitent. Les paysans eux-mêmes, qui avaient dans le commencement montré une froideur voisine de l’hostilité, pillés aujourd’hui et ruinés par les cosaques, se rapprochent des insurgés, s’abouchent avec eux, et leur prêtent ce concours très efficace que la connivence des habitans assure à des bandes dans une guerre de partisans. Il y a d’ailleurs dans la conduite et l’organisation du mouvement quelque chose d’étrange, et qui saisit l’imagination. On dirait qu’un peuple tout entier s’est donné le mot pour former autour des oppresseurs étrangers une vaste et impénétrable société secrète. Presque tous les employés de l’administration et de la police sont Polonais et agissent en Polonais. Tandis que les Russes sont enveloppés de ténèbres, l’autorité de l’invisible comité central fonctionne avec une régularité singulière, servie, obéie par les fonctionnaires