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mangé beaucoup d’argent. Le personnage désigné comme le principal coupable s’était rendu, de son côté, à Constantinople, où il avait partagé le butin avec ceux qui pouvaient l’aider. Il est maintenant de retour à Erekli, et malgré les largesses faites à ses protecteurs l’opération n’a pas, à ce qu’il semble, été mauvaise pour lui.

Le lendemain, dans une bourgade voisine, à Aktchécheïr, où nous avait transportés une petite felouque, nous prenions du café sous un abri de feuillage où se trouvaient réunis les principaux Turcs du pays. Nous causions, doucement éventés par une fraîche brise. Au mudir ou administrateur cantonal qui nous faisait les honneurs de sa capitale, je demandai quels étaient ses appointemens. « Deux cent cinquante piastres par mois, » nous répondit-il en soupirant. Cela fait cinquante francs. Avec de tels appointemens, inférieurs à ceux que reçoit notre cavas, c’est presque un devoir pour un père de famille de voler ses administrés. Nous exprimons nos sympathies pour le pauvre homme. « Bah! fit quelqu’un, il y a plus d’un mudir qui consentirait volontiers, pour obtenir de garder son titre et sa place, à ne pas toucher un sou du gouvernement. » On sourit à la ronde, et sans paraître le moins du monde blessé de l’insinuation, l’honorable fonctionnaire s’associa de bon cœur à la gaîté générale.

Le 18 juillet, au point du jour, nous disons adieu à la mer, à cette belle mer chaude et souriante, que nous ne reverrons plus qu’au mois de décembre, toute tempétueuse et sombre au pied de ces côtes couvertes de neige. Jusqu’à Uskub, nous sommes presque toujours à l’ombre d’une futaie de hêtres. Cela rappelle par momens certains aspects de Fontainebleau; mais on a de plus la profondeur des vallées, de vrais abîmes de verdure, et tant que nous n’avons pas franchi la chaîne qui sépare la côte d’une grande plaine intérieure, la mer bleue se montre à l’horizon.

On fait halte, à dix heures, auprès d’une source fraîche et claire dont le lit, quelques pas plus loin, est changé par les piétinemens des buffles en un horrible bourbier jaune. A une heure, nous nous remettons en route, et nous arrivons vers le soir à Uskub, l’ancienne Prusa ou Prusias ad Hypium. Uskub est un village de près de cent cinquante maisons, toutes mahométanes. Il n’en faut pas plus pour que, dans tout le pays environnant, on lui donne le titre de ville. Après les visites aux autorités, une fois nos bagages installés dans un de ces grands palais de bois à demi ruinés qui datent du temps des déré-beys, — les souverains locaux qu’a détruits Mahmoud, — nous faisons le tour de l’ancienne enceinte, pour nous rendre compte de ce que l’on peut trouver ici d’intéressant. Le soir, on dîne à la turque avec plusieurs parens du maître de la maison. Celui-ci ne revient qu’à neuf heures du soir, et loin de paraître