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n’est plus à nous qu’on le porte, mais aux mudirs, aux cadis, etc. » C’est là ce qui révèle au mollah la décadence de la religion. Quoique la conversation se continue assez longtemps, il ne nous dit rien qui marque un esprit sérieux, ou seulement une âme pieuse et délicate. Ici comme ailleurs, je crois que les simples fidèles sont souvent bien supérieurs à leur clergé en piété et en religieuse charité.

7, 8 août. — Notre compagnon Guillaume va mieux ; mais voilà que Méhémed est atteint aussi des fièvres, et que le docteur, en allant faire de la photographie en plein midi, gagne une sorte de congestion cérébrale. Si nous restons plus longtemps dans cette ville maudite, nous y passerons tous! J’envoie en toute hâte Charles au mudir, pour lui mander qu’il faut à tout prix nous procurer un palanquin et des chevaux. Le mudir montre beaucoup d’empressement. Depuis que nous sommes arrivés, c’est lui qui nous nourrit. Deux fois par jour on nous apporte nos repas de son harem. En vain nous lui avons envoyé plusieurs fois des ambassadeurs pour le décider à nous laisser acheter nos alimens et faire notre cuisine nous-mêmes. — Ce serait une honte, a-t-il toujours répondu. Seulement que nos hôtes nous pardonnent si ce que nous leur envoyons ne vaut pas ce qu’ils mangeaient dans leur pays. — Sa cuisine n’est pas mauvaise, quoiqu’elle abuse un peu du riz au lait et des concombres farcis. Je comprendrais d’ailleurs qu’il commençât à trouver un peu lourde une charge qu’il avait sans doute cru s’imposer pour deux ou trois jours seulement. Il ne nous le fait, en tout cas, sentir d’aucune manière, mais il s’arrange pour que rien ne nous retienne malgré nous à Bey-Bazar. Par son entremise et sous sa garantie, on nous assure jusqu’au bourg d’Aïasch un palanquin, des chevaux de poste et trois mulets.

Dans l’après-midi, je vais faire nos adieux au mudir. Je trouve encore réunis dans sa maison les principaux personnages de la ville. Avant toute conversation, il faut recevoir le salut de chaque personne présente et le lui rendre. On me demande ensuite des nouvelles de tous nos malades, et on fait des vœux pour le rétablissement de leur santé. Je remercie et je témoigne ma reconnaissance de toutes les complaisances que l’on a eues pour nous; je prie en même temps le mudir d’accepter un souvenir de notre passage, et le drogman dépose à côté de lui une paire de pistolets à baïonnette enveloppés de papier. Quoiqu’ils grillent sans doute tous, et surtout l’heureux destinataire du cadeau, de savoir ce qu’il peut y avoir dans ce paquet, personne ne touche ni ne regarde; on ne témoigne pas la moindre curiosité. Agir autrement serait se donner l’air mal élevé, avide, curieux. Chez nous au contraire, cette apparente indifférence