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certains procédés, en se dégageant des solidarités partielles, elle n’en est pas moins venue à reconnaître l’Italie comme une fille émancipée de ses œuvres. Je vais plus loin, et je me demande si cette responsabilité morale n’est pas bien autrement décisive et entraînante que les responsabilités mesurées et définies par la diplomatie. Qu’on admette un instant une conflagration en Italie, fùt-elle provoquée par les Italiens eux-mêmes dans un mouvement d’irréflexion : l’Autriche retrouve la victoire et souffle sur ce rêve d’une Italie unie, le roi de Naples rentre dans son royaume, le pape à Bologne, le grand-duc de Toscane à Florence, les ducs dans leurs duchés. La Lombardie seule est habilement respectée pour désintéresser la politique française. Matériellement, diplomatiquement la parole de la France resterait intacte. Qui oserait dire cependant que ce ne serait pas une défaite pour son ascendant, pour ses idées ? Qui pourrait dire que l’instinct public ne souffrirait pas, que dans cette retraite précipitée d’une cause que n’auraient pas suffi à protéger ces ombres de trente mille soldats dont M. Thouvenel parlait récemment dans le sénat il n’y aurait pas une atteinte profonde, quoique indirecte, à tous nos intérêts généraux d’influence et de grandeur? Et ici s’élève justement la raison qu’on donne comme la plus décisive, cette question des intérêts permanens, de la politique traditionnelle de la France.

C’est un thème respectable mis à la mode depuis quelque temps. Il était déjà un peu en usage lorsqu’il ne s’agissait que de l’agrandissement possible du Piémont par l’affranchissement de la Lombardie et de Venise; mais, depuis que l’unité est apparue au-delà des Alpes, il est devenu tout à fait souverain. Il a d’ailleurs une teinte diplomatique et historique qui donne de l’importance; c’est tout de suite quelque chose de s’attribuer le privilège exclusif de comprendre la grandeur morale et nationale de son pays, de parler au nom de la vieille politique française. — Quoi donc! la France peut-elle vouloir qu’il s’élève à ses portes une puissance militaire de premier ordre, une Prusse du midi, tandis qu’il y en a une assez embarrassante au nord? Peut-elle prêter la main à cette formation d’un grand état réunissant trente millions d’hommes, ayant les lignes stratégiques les plus belles, la formidable défense des quatre forteresses occupées aujourd’hui par l’Autriche, possédant sur trois mers des côtes assez étendues pour avoir bientôt une marine nombreuse et hardie remplissant l’Adriatique et la Méditerranée? Pouvons-nous être allés au-delà des Alpes pour nous créer ce danger d’une force qu’un caprice d’ingratitude peut jeter un jour ou l’autre dans un camp ennemi? L’intérêt permanent et vital de la France s’y oppose; sa vraie politique, c’est celle de Henri IV dans ses projets de fédé-