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ration, celle qu’on essayait encore un moment au dernier siècle par les négociations du marquis d’Argenson, — politique toujours favorable à l’indépendance italienne, il est vrai, mais toujours soigneuse aussi de maintenir la division des souverainetés. Divisée, l’Italie n’est qu’un état défensif qui nous couvre; unie, elle est une menace par sa puissance offensive, et au jour des coalitions encore possible elle devient sur notre flanc l’avant-garde des hostilités contre nous. — Je ne diminue rien, ce me semble. Qu’il y ait pour la France en Italie, comme partout, des intérêts traditionnels et permanens, je ne l’ignore pas; mais il y a une chose qu’on oublie, c’est que le roi Henri IV n’est peut-être plus sur le trône, que M. de Choiseul n’est plus ministre, et qu’il s’est passé un événement comme la révolution française, qui a ses conséquences dans la politique extérieure comme dans la politique intérieure, qui modifie étrangement toutes les conditions de puissance morale et nationale.

Une réflexion plus sérieuse conduirait à une conception plus large de l’intérêt traditionnel de la France. C’était tout simple autrefois, au temps d’Henri IV comme au XVIIIe siècle, — qu’il s’agît d’exclure entièrement l’Autriche ou de lutter d’influence avec elle en Italie, — que toute combinaison se fondât sur la subdivision des souverainetés. D’abord ces souverainetés existaient, ayant leur raison d’être, vigoureuses, multiples. Lorsque Henri IV, dans ses vues grandioses, méditait la fédération, la ligue, suivant le vieux mot, d’une Italie indépendante avec le pape pour chef, il y en avait quinze ou seize : c’étaient des royaumes, des duchés, des seigneuries, des républiques, — la Lombardie qu’on devait conquérir pour l’ériger en royaume avec le Piémont, les états du saint-siège, Florence, Mantoue, Plaisance, Venise, Gènes, Lucques, Piombino, Correggio, Final, etc. Lorsque cette tradition d’une ligue renaissait au dernier siècle dans l’esprit du marquis d’Argenson, les mêmes souverainetés existaient, quoique moins nombreuses, et il y a cent ans pas plus qu’il y a près de trois siècles, on n’avait point l’idée qu’il pût y avoir un droit supérieur à tous ces droits de princes, de ducs et de seigneurs. La fédération ou la ligue était la forme nécessaire d’organisation d’une Italie indépendante. A défaut même de cette combinaison, il était naturel encore que la France vît une condition favorable dans la division des souverainetés. C’était un moyen de balancer l’influence de l’Autriche en conquérant des trônes, et c’est ainsi que la maison de Bourbon allait régner à Parme, à Naples. Rien n’était plus simple dans un temps où la puissance d’un pays se confondait et se résumait dans l’intérêt dynastique.

En est-il de même aujourd’hui après la révolution française, qui a jeté dans la politique cet élément nouveau, le droit des peuples, le