Page:Revue des Deux Mondes - 1863 - tome 44.djvu/162

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

M. de Tocqueville, qui prononçait devant l’assemblée législative, après la restauration du pape, ces paroles prophétiques : « Je suis convaincu, et je ne crains pas d’apporter cette conviction à la tribune, que si le saint-siège n’apporte pas dans la condition des états romains, dans leurs lois, dans leurs habitudes judiciaires, administratives, des réformes considérables, s’il n’y joint pas des institutions libérales compatibles avec la condition actuelle des peuples, je suis convaincu, dis-je, que quelle que soit la force qui s’attache à cette vieille institution du pouvoir temporel des papes, quelle que soit la puissance des mains qui s’étendront d’un bout à l’autre de l’Europe pour le soutenir, ce pouvoir sera bientôt en grand péril? »

Dix ans se sont passés, l’œuvre s’est accomplie; le pouvoir temporel des papes est mort faute d’avoir rien fait. Il a attendu, et pendant ce temps 1849 a conduit à 1856, à ce congrès de Paris où la question en réalité se posait sous le voile d’une question d’occupation étrangère. Le pouvoir temporel est arrivé désarmé à 1859, au moment de la guerre. Alors les événemens se précipitent, les conséquences éclatent d’elles-mêmes comme des coups de foudre; la Romagne indépendante conduit à la séparation des Marches et de l’Ombrie. L’unité de l’Italie se fait, et la question est à Rome resserrée dans ce petit territoire, grand par les souvenirs, empreint encore de la majesté du passé, mais où ne survit plus qu’un pouvoir incertain, démembré, réduit à se réfugier dans des protestations inutiles et à n’avoir d’espérances que par des catastrophes de réaction universelle.

On a souvent parlé de réformes, il est vrai; on en parle encore aujourd’hui, et il y a eu sans doute des momens où à Rome, plus que partout ailleurs en Italie, des réformes auraient pu tout au moins ajourner ou adoucir la crise; la souveraineté politique du saint-siège aurait pu se sauver notamment par un large système de décentralisation désintéressant le pays en laissant survivre en haut l’autorité morale du pape, réalisant ce mot dans lequel le vieux marquis Gino Capponi voyait l’unique solution d’une difficulté jusqu’ici insoluble : que le pape règne sans gouverner. C’était la solution qu’entrevoyait aussi le père Ventura. « Le pape devait être roi, disait-il, pour être indépendant; mais il ne devait pas l’être pour être effacé par la royauté. Il devait dominer tout, mais en laissant tout à sa place; il devait régner et laisser les différentes parties du pays s’administrer elles-mêmes... » Malheureusement, quand on s’est cru un moment assuré contre le péril, les réformes ont été ajournées; quand le péril a éclaté par des diminutions de territoire, on les a de même ajournées en les faisant dépendre de la réalisation de choses impossibles.