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Lorsque dans le taillis un léger bruit de pas
Résonna tout à coup. Les feuillages frémirent...
« Qui va là? demanda Lazare. » Ils entendirent
Une tremblante voix répondre : « Jean Caillou ! »
Et Jean vers le jeune homme accourut comme un fou.
« Là-bas, dans le faubourg, dit-il, on vous appelle...
— Sylvine? s’écria Lazare. — Oui, c’est elle;
Ne perdons pas de temps, reprit Jean, hâtons-nous!
Venez vite, et prenez votre bourse avec vous.
— Partons ! » Et dans la nuit, à travers les cépées,
Les taillis frissonnans, les gorges escarpées,
Les longs chemins couverts, les douteux carrefours.
Ils gagnèrent la plaine et les sombres faubourgs.


VII. — AGITATO.


Les faubourgs par la Faim aux mamelles arides
Sont hantés. Les métiers restent muets et vides.
Et la fabrique oisive a clos ses ateliers.
Le coton, qui faisait manœuvrer les leviers
Et courir la navette et gémir l’engrenage.
Qui nourrissait la ville et le prochain village
Comme l’huile nourrit la lampe, le coton
Manque à la filature, et dans chaque maison.
Sur chaque seuil, on voit la misère installée. —
Dans ces corps de logis à mine désolée.
Pénétrez en suivant l’allée aux murs verdis;
Entrez, si vous l’osez, dans ces mornes taudis;
Partout même détresse et partout même scène :
Une chambre sans air, trop étroite et malsaine.
Exhalant une odeur de fièvre et de tombeau;
Point de lit, sur la terre un horrible lambeau
De paillasse, et parmi les brins de paille humides
Des enfans demi-nus, grelottans et livides.
Les yeux déjà couverts par l’ombre de la mort,
Et la mère auprès d’eux accroupie et qui tord
Ses bras maigres, la mère ulcérée et farouche,
La haine dans le cœur, le blasphème à la bouche;
Le père enfin rentrant au soir, la tête en feu,
Sans courage et sans pain, sans espoir et sans Dieu...

Mais dans ces jours mauvais et parmi ces victimes.
S’il est des cœurs troublés, il en est de sublimes. —