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Thulé des anciens. M. Nilsson arrive à une autre conclusion par les déductions suivantes. Pline nous apprend que, dans l’île de Thulé qu’a visitée Pythéas, il y a une période de l’hiver où le soleil ne paraît pas pendant plusieurs fois vingt-quatre heures, et une période de l’été où l’effet contraire s’accomplit. S’il avait ajouté pendant combien de temps au juste ce phénomène se produisait, nous saurions précisément jusqu’à quelle latitude Pythéas s’éleva ; nous en savons assez toutefois pour ne point assimiler, comme on l’a fait, Thulé au groupe des îles Shetland, ni même à celui des Féroe. Évidemment il a été plus loin ; mais nous pouvons faire un pas de plus : Géminus, astronome du Ier siècle avant l’ère chrétienne, qui, dans un ouvrage conservé sous le titre d’Introduction à l’étude de l’astronomie, a transcrit des fragmens de Pythéas, parle d’un pays visité par ce voyageur où la nuit ne dure que deux ou trois heures, puis d’un autre où elle dure tout un mois, puis d’un troisième où elle dure deux mois. Cette dernière latitude serait celle d’Alton, dans le Finmark norvégien, par 70 degrés. On n’a aucun moyen de prouver absolument que Pythéas soit venu en effet jusque-là ; mais tout au moins peut-on, dit M. Nilsson, quand Pythéas dit qu’on arrive à Thulé en faisant voile de la terre appelée Nérigon, penser qu’il s’agit d’une des îles situées en face de la côte occidentale de la Norvège, dans le groupe des Lofoden, sous le cercle polaire, par conséquent 3 degrés 1/2 plus au sud qu’Alten. Rien de plus vraisemblable que de supposer dans ces îles une pêcherie importante des Phéniciens : c’est là même que Léopold de Buch a vu célébrer la fête de Baal pendant la nuit du midsommar, et l’on retrouve encore aujourd’hui dans toute la région beaucoup de noms qui rappellent le culte de Baal. Bien plus, l’aspect actuel des lieux avec leurs phénomènes naturels correspond exactement à celui du pays de Thulé, comme Strabon le décrit d’après Pythéas. La plante d’où les indigènes de Thulé tiraient une abondante nourriture est sans aucun doute l’angelica, qu’on voit protégée avec grand soin par les anciennes lois norvégiennes. La manière toute particulière dont la glace se forme sous ces latitudes a été fort bien observée par Pythéas, qui compare avec raison cet aspect à celui des méduses mortes qui couvrent, après un orage, la surface des eaux dans les régions plus méridionales. Si l’on doit enfin tenir compte des traditions qui ont pu éclairer les poètes, l’expression de Stace, refluo circumsona gurgite Thule, s’applique à merveille à une île voisine du Malstrom et du Saltensström. — Nous ne pouvons entrer ici dans les détails de la très fine analyse à laquelle M. Nilsson s’est livré ; qu’il nous suffise de dire que rarement le concours des sciences naturelles avec la science archéologique a paru plus efficace, et que l’auteur semble avoir résolu de la façon la plus ingénieuse et la plus solide en même temps plusieurs des problèmes que son difficile sujet avait offerts avant lui aux savans anciens et modernes.

À la suite de cette étude particulière sur Pythéas et sa fameuse Thulé,