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elle mérite au plus haut degré l’attention. Aussi l’Académie des sciences morales et politiques a-t-elle été bien inspirée en proposant la question de l’émigration comme sujet de l’un de ses plus récens concours, et elle a pu se féliciter de l’avoir mise à l’étude en décernant le prix à un travail où le sujet a été traité à fond, dans les détails comme dans l’ensemble. Le volume de M. Jules Duval contient en effet tout à la fois la théorie et la statistique de l’émigration.

L’émigration, telle que nous la voyons procéder au XIXe siècle, présente deux caractères très distincts : ici elle est volontaire et indépendante, là elle est salariée, encouragée par des primes et constatée par des contrats d’engagement. Le premier de ces caractères appartient en général à l’émigration européenne, le second à l’émigration africaine et asiatique. Cette distinction peut-être a déterminé le plan du livre, où sont examinées successivement les deux sortes d’émigrations. Favorable à l’émigration libre et volontaire, l’auteur se prononce nettement contre l’émigration salariée ; il étudie et démontre par des chiffres, que l’on ne saurait trouver surabondans quand il s’agit d’un tel sujet, les avantages de l’une ainsi que les inconvéniens de l’autre, et il résulte de ce double examen un enseignement utile pour les métropoles et pour les colonies.

Le mouvement d’expatriation se produit dans les contrées les plus riches de l’Europe comme dans les plus pauvres ; tantôt c’est un excédant de population qui s’échappe d’un puissant état et qui porte au loin l’influence politique et l’action commerciale de la métropole ; tantôt c’est l’élément misérable de la population qui abandonne la mère-patrie et va chercher ailleurs le travail, le bien-être matériel, la liberté qui lui manquent. L’excès de richesse aussi bien que l’excès de misère alimente l’émigration, favorisée par l’abondance et la rapidité des moyens de transport. Vainement, dans certains pays, a-t-on essayé de l’entraver par des lois et des règlemens ; le droit d’aller et de venir est demeuré le plus fort, et l’expérience enseigne que l’émigration spontanée et volontaire est généralement profitable non-seulement pour les individus et les familles, mais encore pour les états. Quant aux régions vers lesquelles se dirige le flot de l’émigration européenne, comment pourrait-on douter des avantages que leur procurent les capitaux et les bras importés de la vieille Europe ? Les États-Unis et l’Australie sont des produits de l’émigration. Celle-ci a fondé de grandes colonies qui enrichissent les métropoles ; elle a fait plus encore, elle a créé des états libres.

L’émigration salariée a pour objet de fournir à des régions qui ne sont point suffisamment peuplées les ressources de la main-d’œuvre agricole. C’est dans l’Inde et en Chine, ces grands réservoirs de population humaine, qu’elle se recrute principalement, et elle est dirigée en majeure partie vers les colonies européennes des tropiques, où l’émancipation des noirs a diminué le nombre des bras employés à la culture. À première vue, ce sys-