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zarin connaissait en effet par le menu toutes les pratiques de Fouquet. Leur correspondance atteste qu’aucune observation ne fut adressée à celui-ci ni sur les marchés scandaleux, ni sur les anticipations ruineuses, ni sur les emprunts usuraires qui formèrent les chefs de l’accusation dirigée en 1661 contre la gestion du surintendant. Mazarin savait fort bien également qu’élevé à pareille école, Fouquet ne manquerait pas d’imiter son maître ; il voyait grossir chaque jour avec aussi peu de colère que d’étonnement la fortune de l’homme qui était alors l’instrument nécessaire de la sienne. L’acquisition des grands domaines de Fouquet, celle du duché de Penthièvre, de Guingamp et de Belle-Isle, la remise à ses prête-noms des gouvernemens du Mont-Saint-Michel, de Concarneau, de Guérande et du Croisic, qui tendaient à le rendre maître des côtes de Bretagne, remontent à 1657 et 1658, trois ans avant la mort du cardinal. Bien loin de s’opposer aux accroissemens rapides de la fortune du surintendant, le premier ministre lui prêta, quoiqu’il ne fût pas impossible de pressentir déjà ses projets extravagans, le concours le plus entier de l’autorité royale et souvent l’assistance de ses bons offices personnels. Mazarin se sentait avec raison assez sûr de sa force pour n’éprouver aucune inquiétude et pour permettre à un subalterne, jusqu’au jour où il lui conviendrait de l’anéantir, un agrandissement qu’il ne faisait pas à Fouquet l’honneur de considérer comme pouvant jamais devenir dangereux. Les énormes dépenses faites pour le château, les collections et la bibliothèque de Saint-Mandé, les grandioses constructions de Vaux, qui précédèrent Versailles en en laissant pressentir les splendeurs, n’inquiétèrent ni n’émurent Mazarin, reçu plusieurs fois dans ces résidences avec autant d’éclat que l’aurait été le roi lui-même : prodigalités calculées dans lesquelles le surintendant déployait, avec un sentiment très vrai de l’élégance et de l’art, des vues de patronage qui ne tardèrent pas à s’étendre du domaine des lettres à celui de la cour et de l’armée. Fouquet devenait en effet, en face de Mazarin fatigué et vieilli, le Mécène de tous les écrivains qui parlaient à l’opinion, le pourvoyeur de tous les courtisans qui entouraient le jeune monarque, la providence de tous les officiers qui avaient leurs équipages à faire et de toutes les jeunes femmes auxquelles manquaient des diamans : propagande de corruption assez haute et assez hardie pour que la reine-mère elle-même fût soupçonnée d’en avoir subi l’atteinte. Rien de tout cela n’était ignoré de Mazarin, qui ne s’inquiétait ni de la reconnaissance un peu déclamatoire du vieux Corneille, ni des quittances en vers adressées par La Fontaine à son généreux bienfaiteur.

Quoique le premier ministre sût fort bien que beaucoup de grands