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plus fréquentes. Les volontaires allemands qui occupaient la ville de Saint-Louis, et que les ennemis de l’Union qualifiaient de terroristes, ne négligeaient aucune occasion de violer la loi d’extradition, et tous les nègres fugitifs trouvaient dans leur camp un accueil empressé. D’ailleurs le général Fremont leur donnait l’exemple. Un jour un planteur vint chercher trois nègres qui s’étaient réfugiés dans le camp : « Allez-vous-en, lui répondit le général. Il se peut que vos esclaves soient ici ; mais aussi longtemps que je garderai mon nom, je ne tromperai jamais la confiance que ces hommes ont mis en ma protection ! »

Cependant la lutte prenait dans le Missouri un caractère d’acharnement féroce, qui contrastait avec les allures tranquilles de la guerre du Potomac. Autour de Washington, les armées ennemies étaient composées à peu près en entier d’hommes appartenant à des états distincts par le climat, les mœurs, les traditions ; mais sur les bords du Missouri, les combattans avaient été voisins avant de s’entre-tuer ; ils se connaissaient les uns les autres et portaient dans la lutte cette animosité personnelle qui donne un caractère si effrayant aux guerres civiles. Une victoire remportée par l’un ou l’autre parti pacifiait le pays à la surface ; mais quelques jours après, chaque village, chaque hameau abandonné par les troupes recommençait la guerre pour son propre compte, et telle région qui le lendemain d’une défaite n’offrait en apparence que de paisibles agriculteurs était couverte de guerillas bientôt après le départ de l’ennemi. Sur tous les points du territoire avaient lieu des rencontres à main armée, depuis la bataille proprement dite jusqu’au simple duel. Un grand nombre de villes et de villages étaient brûlés, les campagnes étaient dévastées, la solitude reprenait son domaine. Des sociétés de brigands, étrangères à tous les partis et constituées par actions comme des compagnies industrielles, exploitaient systématiquement le pays par le vol, le meurtre et l’incendie. Le Missouri, auquel sa position centrale, son réseau de rivières, la fertilité de son territoire et ses montagnes de métal presque pur peuvent faire espérer de devenir un jour l’état le plus important de l’Union, courait le risque d’être changé en un désert ; déjà les citoyens étaient obligés d’implorer du répit pour le paiement de leurs taxes. Il fallait aviser au plus tôt. Le 31 août 1861, le général Fremont proclama la loi martiale, et le premier parmi tous les chefs américains, il osa prononcer le mot redoutable d’émancipation ! De sa propre autorité, il déclara libres tous les nègres dont les maîtres auraient été convaincus de rébellion, et, joignant l’exemple au précepte, il mit en liberté deux esclaves de Saint-Louis qui avaient appartenu à des ennemis de l’Union.