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des filles, et en répondant de les doter. Sa compagnie, en mars, engagea, envoya (avec outils, vivres, dépenses de première année) d’excellens émigrans, des Suisses, des Allemands laborieux. Elle acheta même des nègres, ouvriers supérieurs pour ce climat (mai) ; mais elle refusa nos vagabonds[1]. Or, juste à ce moment la police s’obstine à ignorer cela. Elle crée des enleveurs patentés en costume éclatant (bandouliers du Mississipi). Pour faire plus de scandale, outre leur paie, ils.ont 10 francs de prime pour chaque enlevé. Cela les anime si bien qu’ils capturent au hasard cinq mille personnes : des servantes qui viennent s’engager à Paris, des petites filles de. dix ans, des gens établis, de notables bourgeois ! Ils en font tant que dans certains quartiers on assomme ces bandouliers. Cependant une commission du parlement court les prisons, délivre les pauvres enlevés, s’apitoie sur leur sort, déplore la tyrannie de Law. Persécution étrange ! il a beau refuser : tout le long de mai 1720 et jusqu’en juin, on enlève pour lui, pour lui on fait passer aux ports, on embarque des troupeaux humains !

Quel poids que la haine d’un peuple ! Law ne pouvait la supporter. Il voulait à tout prix refaire sa popularité. L’horreur de sa situation n’avait fait qu’exalter ses puissances inventives. Battu sur tant de points, il s’élance dans un nouveau rêve, — celui-ci vraiment analogue à ceux de nos socialistes. La compagnie sera le grand industriel de France, fabriquera, vendra elle-même. Supprimant les nombreux intermédiaires oisifs et parasites qui tous gagnent sur le travailleur, elle livrera directement la marchandise à très bas prix. Déjà il avait fait un premier essai à Versailles dans sa belle colonie de neuf cents horlogers appelés d’Angleterre. Il en fit un nouveau dans son château de Tancarville pour la fabrique des étoffes et la confection des habits. Il avait fait venir de Flandre un habile homme, Van Robais, qui aurait habillé le peuple presque pour rien. Law voulait le nourrir lui-même. Il achète des bœufs à Poissy ; il tue, détaille, vend la viande au rabais, fait taxer les bouchers, les oblige de vendre de même.

Soins perdus ! Et il perdait le temps encore à dicter, à faire écrire par l’abbé Terrasson une longue apologie en quatre lettres qu’on mit dans le Mercure, mais les oreilles étaient bouchées par les grandes et terribles préoccupations de la ruine. Les ennemis de Law sentirent que tout cela ne lui servait à rien, qu’il était mûr et qu’on pouvait frapper. La dernière lettre est du 18 mai 1720. Le 21, ils saisirent le moment et lui portèrent le coup mortel.

Le 20 mai, il y eut vacance au conseil et au parlement. Chacun

  1. Manuscrit Buvat, t. II, p. 245.