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alla un moment respirer. M. le Duc, Villars, Saint-Simon, etc., sont dans leurs terres. Il ne reste près du régent, avec Law, que son ennemi d’Argenson et Dubois, non moins ennemi, voué à l’Angleterre, dont la Bourse exige que la nôtre expire. Saint-Simon est bien étourdi quand il dit que Dubois « fut dupe. » Il fut fripon comme toujours. Jamais sans son concours d’Argenson n’eût eu cette audace de lancer contre le système la machine qui le mit à terre. À qui sert-elle, cette machine ? A Blount et à Stanhope. Elle est mise en branle de Londres, montrée par d’Argenson, mais poussée par l’excellent Anglais Dubois.

« La baisse allant toujours sans qu’on pût l’arrêter, dit d’Argenson, ne valait-il pas mieux régler la baisse, la mesurer, la gouverner par une réduction progressive des actions et des billets qui baisseraient de mois en mois jusqu’en décembre, où ils seraient réduits à peu près de moitié ? » Il est certain que beaucoup abusaient de la situation, forçaient leurs créanciers de prendre en paiement de mille livres ce qui bientôt ne vaudrait que cinq cents. Le roi même avait fait ainsi, payé en valeurs à la baisse ; mais s’il en fait l’aveu, s’il le proclame, combien il va la précipiter cette baisse, hâter le grand naufrage de tant de gens qui, en faisant moins de bruit, eussent liquidé tout doucement ! Ce n’était plus la baisse qu’on aurait, mais la chute subite et complète.

Law trouva le régent bien préparé. D’Argenson proposait, et Dubois appuyait. Donc Law était seul contre trois. Qu’avait-il à faire ? Rien que de se retirer. Il les eût foudroyés de honte, leur laissant tout sur les épaules ; mais sans doute les deux fins renards lui firent entendre qu’en restant il ferait encore un grand bien, ralentirait la baisse que jamais, tant qu’on le verrait au timon des affaires, on ne perdrait cœur tout à fait. Du reste, qui avait amené cette triste nécessité ? Il fallait qu’il aidât à adoucir des maux dont il n’était pas innocent. Ledit fort insidieusement commençait par un hymne à la gloire du système : bon moyen pour faire croire que Law était auteur, rédacteur de cette pièce. Ce fut exactement comme aux enlèvemens pour le Mississipi. On s’arrangea pour lui faire imputer ce qu’il refusait, ce qui le perdait. — Signerait-il ? Le régent pria, ordonna ; l’homme qui dès longtemps ne s’appartient plus et se sentait perdu signa son acte moratoire.

L’effet fut effrayant. Tous ces gens se virent ruinés. Ils crurent que l’édit produisait ce qu’il constatait seulement. Ce ne fut qu’un cri contre Law. À peu ne tint qu’on ne le mît en pièces. Le 25 mai, émeute ; on casse ses vitres à coups de pierres. Le régent eut pitié de lui ; il le prit, et, pour faire voir qu’il l’avouait de tout, il se montra le soir avec lui à l’Opéra en même loge.