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chaudes l’hiver, pour permettre de moins souffrir du climat fort désagréable auquel ont à se résigner les habitans de tout le centre de la péninsule. La vaste surface de ces terres hautes et découvertes a des étés brûlans et des hivers très froids. Pour comble de gêne, l’eau y est très rare dès les premières chaleurs et le combustible fait presque totalement défaut. Pourtant, lorsque souffle sans obstacle sur ces grandes plaines nues le vent glacial qui vient de Russie, et que le sol est au loin couvert d’une épaisse couche de neige, il ne suffirait pas, pour avoir chaud, d’enfoncer en terre sa tanière et de s’y tenir renfermé, comme les animaux hibernans. On a d’ailleurs à faire cuire les alimens. Il fallait donc, pour que tout ce pays ne fût pas absolument inhabitable, inventer un moyen de chauffage. Ou l’a trouvé dans la fiente desséchée des animaux, que l’on recueille, que l’on prépare et conserve avec soin. Tout ce que l’on a ainsi ramassé dans les étables à bœufs, dans les pâturages, dans les endroits où s’arrêtent ordinairement les caravanes, si l’on est près de quelque sentier fréquenté, on le jette dans de grandes fosses où on le mêle avec de l’eau, puis les femmes et les jeunes filles pétrissent cette pâte, où elles enfoncent sans façon leurs bras nus jusqu’à l’épaule. Elles la façonnent ainsi en brunes galettes que l’on étend, pour les faire sécher, sur le sol, ou que l’on colle plus souvent contre les murs des maisons. L’automne venu, avant les pluies, on détache tous ces gâteaux, qui ont pris à peu près l’aspect de certaines tourbes, tout en restant bien plus légers, et on les entasse dans un coin de l’habitation. Quand ils ont été convenablement fabriqués et séchés, ils s’allument vite et brûlent bien, avec une petite flamme bleuâtre qui répand une odeur légèrement musquée. En somme, on s’y habitue très vite, et dans l’Haïmaneh cela me paraissait tout naturel de voir préparer mes alimens et d’allumer ma pipe avec un morceau de ce charbon animal. Ici, comme nous ne sommes pas au centre du grand plateau, mais assez voisins des montagnes qui en forment comme le rebord septentrional, on se chauffe encore au bois. Dans tout le pays que nous traversons d’Angora à Iusgat, il n’y a point de forêts ; mais dans le creux des ravins et sur quelques pentes poussent de petits chênes dont on coupe le branchage à l’automne. Chacun fait en ce moment sa provision pour l’hiver ; auprès des maisons, on voit de grands monceaux de ramée sur lesquels les enfans piétinent pour les tasser. En revanche, dans les filages où nous passons, l’eau douce est déjà très rare. Dans la plupart d’entre eux, elle ne se trouve qu’en très petite quantité, à des sources qui tarissent l’été, tandis que les fontaines donnent en abondance une eau légèrement saumâtre, chargée de fer et de sels neutres, que les animaux boivent volontiers, et dont les