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que nous ne sommes plus ici à Angora ; la différence se fait sentir tout d’abord. Il en est de même dans les maisons des raïas où nous pénétrons pendant la journée que nous passons à Kaledjik pour laisser reposer nos chevaux ; la propreté, l’espèce d’élégance et de recherche que l’on remarque dans presque toutes les maisons chrétiennes d’Angora font ici complètement défaut. On ne trouve que de grandes masures noires et tristes, avec des pièces mal éclairées et des salons dont le divan est vieux et taché.

Le 1er novembre, nous nous remettons en marche. Il y a une heure à peu près de la ville à l’Halys, bordé en cet endroit, sur ses deux rives, de saussaies et de jardins comme nous n’en avons pas vu depuis bien longtemps. C’est un plaisir que nous n’avions pas encore goûté cette année, de marcher sur un tapis de feuilles mortes. L’Halys, auquel nous arrivons ainsi, est très étroit. Le plus grand fleuve d’Asie-Mineure dans la partie moyenne de son cours est loin d’avoir moitié autant d’eau que la Marne à La Ferté-sous-Jouarre. Il est divisé en deux bras : sur le plus profond, qui a 18 mètres de large, il y a un petit pont de bois. L’autre bras a bien 25 mètres ; mais on le traverse à gué, et les chevaux n’ont d’eau que jusqu’au genou. À peine l’Halys est-il passé, que nous commençons à gravir les rampes des montagnes nues et coupées de ravins que nous apercevions l’avant-veille du sommet de l’Idris. Au bout de près de trois heures de montée, nous nous trouvons sur le grand plateau central qui dans cette direction s’étend jusqu’au Taurus. Il ne présente pas tout à fait ici la même monotonie que du côté de Konieh ; des sommets pointus, que nous laissons au sud, se dressent au-dessus de collines que le fer colore en rouge, et des cours d’eau qui descendent à l’Halys dessinent de larges ondulations. La terre végétale abonde partout ; auprès des villages, qui sont nombreux, il y a de grands champs de blé ; partout ailleurs, ce sont d’immenses pâturages qu’a brûlés la canicule, mais qui doivent se couvrir au printemps d’une herbe épaisse et abondante. Souvent les pelouses sèches sont couvertes de chameaux presque tous couleur café au lait, et, aussi loin que la vue peut s’étendre, tout est jaune.

Sur tout ce plateau, les villages ont un aspect étrange qui suffirait à révéler la rigueur des hivers dans cette région élevée. Les maisons, basses, aux trois quarts enterrées dans le sol qui les porte, s’en distinguent à peine. On y descend par une allée en pente douce. Quand nous nous promenons dans ces villages, nous sommes forcés plusieurs fois de revenir sur nos pas, parce que, nous croyant dans la rue, nous nous sommes avancés sur une terrasse, et que nous trouvons le vide devant nous. C’est ainsi que sont faites les maisons dans toute cette partie de l’Asie-Mineure, pour être fraîches l’été et