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sous le nom d’Achmet-Pacha, aurait eu, étant encore jeune homme, un rêve qui lui aurait montré une grande ville s’élevant dans ce désert ou il faisait paître ses troupeaux. Devenu un chef puissant, il aurait commencé à réunir ici quelques familles appelées des villages voisins. Son fils aurait continué son œuvre et aurait peuplé la ville en y appelant, par l’ordre qu’il faisait régner dans ses domaines et par.les égards qu’il montrait à tous les cultes, des Turcs et des raïas de Kaisarieh, Sivri-Hissar, Amassia. Les Tchapan-Oghlou avaient compris les services que pouvaient leur rendre l’intelligence et l’industrie des chrétiens, et ils les protégeaient, ils traitaient avec une bienveillance marquée les principaux d’entre eux. Cette habile politique avait beaucoup contribué à la rapide prospérité de la cité naissante, dont le site était d’ailleurs heureusement choisi, dans une vallée bien abritée où l’eau ne manque en aucune saison.

Soliman-Bey Tchapan-Oghlou, le fils d’Achmet-Pacha, était un véritable souverain indépendant, qui ne reconnaissait que pour la forme la suzeraineté du sultan. Tout en protestant de son obéissance aux ordres du successeur des califes, il ne relevait en réalité que de lui-même. Son autorité s’étendait de Siwas à Tarsous ; Amassia, Tokat, Kharpout, Angora, lui étaient plus ou moins directement soumises. Il pouvait, assure-t-on, mettre en campagne dans un besoin pressant, jusqu’à cent mille hommes. Toute cette contrée était mieux gouvernée, plus tranquille, plus heureuse et plus riche sous la domination des Tchapan-Oghlou qu’elle ne l’est aujourd’hui sous la main des délégués du pouvoir central. Déjà d’autres voyageurs ont fait la même remarque pour d’autres contrées de l’empire. Jamais le Liban ne retrouvera, sous l’autorité immédiate de la Turquie, la prospérité dont il jouissait sous les princes de la famille Chéab. La raison de ce contraste est facile à saisir. Pour peu qu’ils eussent quelque intelligence, ces souverains locaux, toujours menacés par des voisins jaloux et par la haine du sultan et de ses vizirs, devaient bien vite sentir qu’ils avaient tout avantage à s’attacher les populations et à ménager la province où ils prétendaient établir une dynastie et perpétuer la domination de leur race. Leurs intérêts se confondaient donc, dans une certaine mesure, avec ceux de leurs sujets, et ce n’est qu’en agissant d’après ce principe que plusieurs d’entre eux étaient arrivés, dans le cours du dernier siècle, à se créer, sur différens points de l’empire, des royaumes parfois assez étendus et très florissans. Maintenant au contraire les pachas, n’ayant aucun lien avec des provinces où ils ne font que passer et n’étant d’ailleurs soumis par le gouvernement à aucune surveillance effective, à aucun contrôle sérieux, n’ont aucune raison de s’intéresser à des populations auxquelles ne les rattache